Blade Runner 2049, A couteaux tirés, Mourir peut attendre, Eaux profondes (le thriller érotique d’Adrian Lyne avec Ben Affleck et sa brève liaison avec l’acteur à la clé)… Charmés, impressionnés, nous l’étions déjà. Mais c’est en relevant le difficile pari de devenir Marilyn Monroe, ou plutôt la Norma Jeane traumatisée, dans Blonde, que la brune Ana de Armas nous a éblouis. (Une nomination à l’Oscar s’impose, et vengerait la maltraitée Marilyn !) Quel incroyable chemin parcouru pour cette actrice cubano-espagnole de 34 ans, rêvant petite devant les films de Julia Roberts et qui se voit aujourd’hui offrir les plus grosses productions hollywoodiennes ! Parmi les activités de la belle Ana : la comédie d’action romantique Ghosted, de Dexter Fletcher, avec Chris Evans, dont elle est aussi coproductrice ; The Gray Man, le «Jason Bourne» des frères Russo, avec Ryan Gosling… Sans omettre une campagne de mode qui vante la production de diamants naturels, qui, comme chacun le sait, sont “les meilleurs amis d’une fille”. Une fille de son temps, moderne et décontractée, comme la renversante, et désormais indispensable, Ana de Armas.
Blonde, d’Andrew Dominik, a été l’un des grands événements de l’année. Le film a changé votre vie ?
Ana de Armas. Ce n’était pas un rôle facile à accepter. La responsabilité d’incarner Marilyn, bien sûr, mais aussi le fait que le film raconte sa vie de façon très crue et sombre. Lorsque j’ai commencé à lire le scénario, j’ai cru qu’il s’agissait d’un film d’horreur ! Je savais que j’allais être exposée, mal à l’aise. Mais je ne pouvais pas laisser passer une telle opportunité. Je vois ce rôle à la fois comme un cadeau que je me suis offert, pour montrer à quel niveau de jeu j’aspire, et, surtout, l’occasion de devenir meilleure. Quoi que les gens pensent du film, ou de mon interprétation, l’expérience est gravée à jamais en moi. Oui, Blonde a changé ma vie.
Comment avez-vous obtenu le rôle ?
Le réalisateur Andrew Dominik a eu un mal fou à boucler le projet : son premier film interdit sur Netflix au moins de 17 ans… il a pensé avoir enfin trouvé “sa” Marilyn en me voyant dans Knock Knock, que j’avais pris énormément de plaisir à tourner avec Keanu Reeves. Il m’a envoyé le scénario en me demandant combien de temps il me faudrait pour me préparer à l’audition, qui était la scène de la première rencontre entre Marilyn et Joe DiMaggio. Je lui ai dit une semaine. Et je me suis préparée à ma manière. D’abord, juste en rassemblant du maquillage. Puis, j’ai joué la scène avec une perruque blonde horrible : je voulais être sûre que tous les gens présents ce jour-là puissent percevoir en moi, qui suis très brune, l’ange blond qu’était Marilyn. Ensuite, l’immersion : le travail avec le coach pour la voix mythique de Marilyn, les essais incessants de costumes, les prises de vues, la lecture et relecture du scénario, mais aussi le livre de Joyce Carol Oats, le plongeon dans les archives… Apprendre à connaître Marilyn est ce que j’ai fait de plus beau dans ma vie. En tout, la préparation a duré un an.
Alors que vous tourniez aussi beaucoup en parallèle !
Oui, notamment avec Olivier Assayas pour Cuban Network. A la fin de mes journées de tournage, je passais deux heures par Skype avec mon coach pour assimiler la voix de Marilyn, puis je m’entraînais encore la nuit… C’était un rythme fou qui a failli me tuer, mais je savais en acceptant le rôle que j’aurais énormément de travail. C’est la partie la plus excitante pour moi, le défi : tout relier organiquement dans mon cerveau et puis lâcher prise, arriver sur le plateau et faire confiance aux instincts, comme celui du producteur du film, un certain Brad Pitt, et surtout celui d’Andrew, le réalisateur, dont je savais qu’il voulait à sa manière venger Marilyn de la façon dont le patriarcat et Hollywood l’avaient traitée. Une intention vraiment féministe.
Blonde est plus axé sur la vie intérieure de Norma Jeane que sur le personnage de Marilyn Monroe. Lequel, dit le film, «n’existe qu’à l’écran»…
Blonde relate avant tout le désarroi affectif de Norma Jeane, de son enfance traumatisante avec sa mère déséquilibrée à sa quête perpétuelle d’un père. Mais il s’agit de la même personne ! L’une avait besoin de l’autre, Norma Jeane et Marilyn se complétaient. (Elle devient soudain nerveuse… et s’en excuse.) C’est très dur de répondre à cette question, car j’étais en permanence tellement connectée émotionnellement à Norma et à Marilyn. Si j’ai accentué un aspect plus qu’un autre, ce n’est pas conscient. Ce que j’ai essayé, surtout, c’est de faire ressortir la vérité émotionnelle de Norma Jeane, son humanité, ce que l’on ne sait pas d’elle. Pour cela, j’avais quartier libre, et j’ai puisé loin en moi, m’identifiant au point d’en avoir le vertige, alors que je ne suis pas du genre à rester dans la peau de mes personnages entre les prises.
Marilyn Monroe a fait partie de votre enfance à Cuba ?
Ma mère m’a dit que, chaque week-end, la télévision cubaine passait des films de Marilyn. J’ai dû les voir, même si ni ma mère ni moi n’avions conscience de qui elle était et ce qu’elle représentait. C’est seulement quand j’ai déménagé à Madrid, quand j’ai étudié à l’école de théâtre, que j’ai commencé à regarder ses films sérieusement. J’ai découvert Certains l’aiment chaud. Je ne pouvais quitter Marilyn des yeux ! Car elle était super magnétique, super talentueuse, super intelligente, super drôle, une extraordinaire chanteuse aussi – par chance pour moi, je n’ai pas vraiment eu à chanter dans Blonde. (Rires.) Hélas, sa carrière l’a amenée à ne jouer presque que des femmes enfants dans des comédies, alors qu’elle aurait pu interpréter d’incroyables personnages dramatiques si on lui en avait donné l’opportunité.
Vous pensez qu’elle aurait aimé Blonde ?
J’ai eu la sensation que son fantôme nous a accompagnés pendant le tournage. Pour commencer, pure coïncidence, après des retards de production, nous avons commencé à tourner le 4 août, jour anniversaire de sa mort… Nous avons tourné dans les endroits authentiques de sa jeunesse, de sa vie avec DiMaggio, Arthur Miller, dans les vrais studios de cinéma, dans sa maison de Brentwood. La chambre dans laquelle elle meurt est la chambre dans laquelle elle est vraiment morte. Peut-être est-ce parce que, pendant un an, je n’ai pensé qu’à elle, rêvé que d’elle, mais elle m’a guidée pendant ce film, et elle avait l’air contente. Lorsqu’elle ne l’était pas, elle se manifestait, jetait un objet sur un mur. Je vais vous paraître mystique, mais c’est vrai, il s’est passé des choses inexplicables. Marilyn était là, avec nous.
En quoi comprendre le revers de la médaille du mythe de Marilyn Monroe peut aider les actrices actuelles ?
Les femmes de cette industrie seront toujours soumises à un regard bien spécial. Autrefois, le “studio system” contrôlait tout. Aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux et les médias… et tout ça est hors de contrôle. Quoi que vous fassiez, ça ne sera jamais assez bien. C’est pourquoi nous ne voulions rien idéaliser, pour ne pas continuer à perpétuer cette fausse image de glamour, succès, gloire et beauté, cette idée si américaine de ce qu’est le bonheur, parce que c’est faux, et que c’est mal, de vendre de la poudre aux yeux. Aucun acteur n’est préparé à devenir une bête de foire ou à provoquer une attente déraisonnable. Jouer Marilyn m’a donné encore plus d’empathie pour celles et ceux qui souffrent de la pression démesurée qui va avec trop de célébrité. A mon humble niveau, cela m’a appris à mieux me protéger. N’oublions jamais comment est morte Marilyn Monroe.
Vous avez été James Bond Girl, Marilyn, vous avez plein de films de haute volée à venir : quel regard portez-vous sur votre parcours ?
J’ai par moments le sentiment que cela a pris tant de temps pour en arriver là… et à d’autres moments que tout est arrivé si vite et que j’ai eu beaucoup de chance. Surtout avec un anglais aussi mauvais ! (Rires.) Je viens d’une petite ville près de la mer. A 9 ans, aller vivre à La Havane, puis commencer à étudier le théâtre, regarder à la télévision ces acteurs américains que je côtoie désormais, moi qui ai toujours voulu être actrice, mais qui pensais que je jouerais uniquement pour le cinéma cubain et la télévision cubaine… C’est fou et, en même temps, j’ai tout fait pour orienter ma carrière. J’ai cru en moi. Je comprends d’autant mieux le désir de Marilyn, qui, ce n’est pas assez dit, était très forte, très résistante, pour se faire respecter. Je vois beaucoup de lutte dans mon parcours.
«Blonde», d’Andrew Dominick… à voir sur Netflix.
«Ghosted», de Dexter Fletcher… à venir sur Apple+.
Propos recueillis par Juliette Michaud
Photographie principale par Thomas Whiteside
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