Oui, elle a commencé dans des films de princesse et tourne pas mal de comédies romantiques, mais ce sont les rôles matures qui lui vont le mieux. Souvenez-vous de son étonnante performance d’épouse froide et sans cœur dans Le Secret de Brokeback Mountain. Peut-être parce que cette fascinante brune à la peau d’albâtre, aux yeux et à la bouche immenses, que ses amis appellent “Annie”, est si sérieuse dans la vie, vous donnant, en face d’elle, envie d’ajuster votre pose et de surveiller votre langage. Dans Armageddon Time, le poignant film autobiographique de James Gray, Anne Hathaway joue la propre mère du réalisateur juif new-yorkais, avec un mélange de tendresse et de dureté, une force, un éclat qui la rangent, enfin, parmi les plus grandes. Ajoutez à cela sa grâce et son glamour au dernier Festival de Cannes, où Armageddon Time était présenté en compétition officielle, irradiante en Armani, Gucci, Schiaparelli : pas de doute, la chrysalide du Diable s’habille en Prada est devenue papillon. Après la série WeCrashed, avec Jared Leto, on va aussi la retrouver prochainement dans Mother’s Instinct avec son amie Jessica Chastain, Bum’s Rush avec Bill Murray, The Idea of You, où elle joue une galeriste à Los Angeles… L’année de ses 40 ans (elle les aura le 12 novembre) est l’année Anne Hathaway.
Est-ce particulièrement déstabilisant, de jouer la mère de son metteur en scène ?
Anne Hathaway. Se mettre devant une caméra, c’est déjà se mettre dans une position très vulnérable et très particulière… et en même temps totalement naturelle pour moi puisque je fais ce métier. Je reconnais cependant que jouer un membre de la famille de quelqu’un que j’aime autant que James Gray a demandé beaucoup de confiance. Des deux côtés. Et de retenue aussi. Je devais faire très attention avant de lui poser une question, car j’étais consciente de ne pas simplement lui poser une question ayant trait au film, mais à la vie. J’ai énormément apprécié la délicatesse qui s’est installée dans ma relation à James, mais aussi dans le jeu de tous les acteurs. L’atmosphère sur le plateau d’Armageddon Time était en effet spéciale, oui…
On vous a découverte il y a un peu plus de vingt ans dans Princesse malgré elle, alors que vous faisiez déjà beaucoup de télévision, du théâtre et de la comédie musicale. Quel regard portez-vous sur votre parcours ?
J’ai su très jeune que je voulais devenir une actrice sérieuse. Et j’ai conscience qu’il existe un type d’artiste qui possède ce même désir et cette même ambition à un âge précoce. Cette fibre, je l’ai reconnue chez Michael Banks Repeta, qui joue James Gray gamin, et chez Jaylin Webb, qui joue son meilleur ami, accusé juste parce qu’il est noir. Jaylin et Michael veulent tous les deux être artistes et savent, comme je le savais à leur âge, les risques qu’ils encourent. L’art sans risque n’existe pas. Je sais par expérience qu’il est possible d’être un enfant, de raconter une histoire intense, adulte, et d’en ressortir intacte. Mais, en même temps, je suis consciente de ma chance : j’ai eu des parents compréhensifs qui m’ont toujours soutenue. Un acteur enfant a besoin sur le plateau d’un environnement plein d’attentions et d’amour. Il faut que vous puissiez à la fois prendre ce que vous faites au sérieux, sans pour autant oublier votre jeune âge. Le plateau d’Armageddon Time était toujours bienveillant et chaleureux. De tous les films que j’ai tournés, c’est celui dont je garde les meilleurs souvenirs.
Vous jouez à merveille la mère de James Gray. Comment avez-vous abordé le rôle ?
Quelle actrice n’aimerait pas jouer une mère juive ? C’est un honneur. J’ai deux enfants, mon mari (l’acteur Adam Shulman) est juif, et nous avons beaucoup parlé à la maison de ce personnage, Esther, de sa signification pour nous. Ma belle-mère, qui est décédée récemment, a été mon modèle pour ce rôle, du moins pour toutes les facettes positives du rôle. Elle est aussi mon modèle dans la vie. Sa main protectrice de mère juive, son instinct maternel si profond, guidera de façon intense le reste de mon existence. Si j’ai pu transmettre ne serait-ce qu’un peu du lien si fort qu’elle avait avec sa famille… (Les larmes lui montent aux yeux.) Je ne peux même pas décrire l’amour complexe de cette mère. C’est au-delà des mots, et c’est pourquoi je suis très reconnaissante au cinéma, qui permet d’exprimer les sentiments les plus profonds… sans les mots.
Pensez-vous que le cinéma a rendu votre vie meilleure ?
L’art en général rend la vie meilleure. Ce qui est troublant, c’est à quel point mes films et ma vie se font écho. James dit avoir fait ce film si proche de lui «sans juger le passé» – notamment les accès de violence de son père –, juste en l’observant, afin que la peine qu’il a connue enfant lui soit aujourd’hui utile. Chacun de nous a une occasion, chaque jour, de choisir si nous voulons continuer à faire du mal, consciemment ou inconsciemment, à ceux que l’on aime, ou si, au contraire, nous voulons que chaque jour nous donne la possibilité de nous améliorer et de voir les choses sous une perspective différente. Sur ce sujet, avec le film de James Gray, je crois que nous avons fait un sacré bon boulot.
Propos recueillis par Juliette Michaud
Photographie principale par Jason Kim
«Armageddon Time», de James Gray, avec Anne Hathaway, Jeremy Strong, Michael Banks Repeta, Jaylin Webb, Anthony Hopkins, Jessica Chastain. Sortie le 9 novembre.
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