«Je serais une actrice un peu blasée si je n’avais pas été épatée par le succès du Jeu de la dame (Rires) : 62 millions de foyers qui vous regardent dans une minisérie sur Netflix… certains parlent même de succès sans précédent !» La voix d’Anya Taylor-Joy, rauque et chaleureuse, n’est qu’une des nombreuses surprises qui vous secouent en la rencontrant. Elle peut aussi sortir des cristaux énormes de son sac et des tas de livres chinés chez Shakespeare and Company à Paris, sa librairie préférée au monde. “Peu banale” est le terme qui vient à l’esprit.
L’ascension de cette actrice anglo-américaine de 26 ans élevée en Argentine est l’une des plus spectaculaires du moment. Révélée il y a deux ans en flamboyante joueuse d’échecs dans le fameux, et formidable, Jeu de la dame, remarquée chez M. Night Shyamalan (The Split), muse créative du visionnaire gothique Robert Eggers, qui nous la fit découvrir dans le très effrayant The Witch, avant d’en faire une Viking dans The Northman aux côtés de Nicole Kidman, la voici à l’affiche de deux films de haute voltige. Deux longs-métrages qui sortent en salle, cela vaut la peine d’être souligné. Amsterdam, de David O’Russell, le 2 novembre, et Le Menu, de Mark Mylod, à découvrir le 22 novembre. Dans l’un, polar fou des années 1930, elle tient un petit rôle parmi un casting cinq étoiles (Margot Robbie, Christian Bale, John David Washington, Robert De Niro…). Dans l’autre, une comédie noire-thriller d’épouvante, elle tient tête à Ralph Fiennes, en chef glaçant d’un grand restaurant sur une île isolée : une expérience gastronomique qui va très mal tourner…
Mais qui est Anya Taylor-Joy, fascinant ovni qui crève l’écran sans prévenir ? Avec son magnétisme animal, celui d’une biche, dont elle a le corps. Et les yeux. Littéralement. Immenses et profonds, inondant d’une multitude d’émotions son visage à pommettes hautes et à bouche de poupée. Dans Le Jeu de la dame, qui a mis le feu aux poudres, elle damait le pion aux hommes, comme si elle avait joué toute sa vie ! Pour le rôle, elle avait mémorisé toutes les parties à jouer par cœur…
Anya Taylor-Joy cite Cate, Nicole et Tilda comme inspiration. On pense aux pionnières, les Katharine Hepburn et Bette Davis, celles qui ont imposé leur différence. Les inclassables. Anya fait partie de cette lignée-là. Savait-elle qu’en plus de gagner la compétition elle deviendrait l’une des cheffes de file de sa génération à Hollywood, cette génération d’actrices si douées à jouer et déjouer tous les codes, tout en s’immergeant corps et âme dans leur passion ? «J’avoue qu’à la seule lecture du livre, je savais que les gens seraient accrochés par les thèmes très forts du Jeu de la dame, qui pour moi ont été thérapeutiques à jouer : ne plus être son propre ennemi, surmonter ses démons, ne pas imaginer une seconde qu’une femme n’a pas la même place que les hommes dans la société… Mais c’est la dernière fois où j’ai pu être objective. Dès que je suis devenue Beth, j’ai basculé de l’autre côté du miroir.» Une performance inoubliable qui lui vaut un Golden Globe et une spectaculaire transformation. Est-ce bien la même Anya, cheveux raides néo-glamour blond platine jusqu’au bas du dos, tenues puisant dans toutes les meilleures références glam-rétro : voilettes, chignons, bibis…? Est-ce bien la même, débutante brunette, parfois rousse, qui semblait un peu effarouchée par tout ce cirque, qui aujourd’hui réinvente et enflamme les tapis rouges avec sa silhouette de danseuse de ballet punk rock ? Dior flashe, en fait son ambassadrice couture et maquillage : Anya passe des semaines à étudier l’histoire de la prestigieuse maison…
Elle n’a jamais été très Disney, pour qui elle a refusé des rôles trop lisses. Pour la sortie d’Emma., du Jane Austen revisité par la réalisatrice Autumn de Wilde (une photographe de rock vétérane des années 1960), l’actrice expliquait sa quête revendiquée de liberté : «J’ai beaucoup de mal avec les étiquettes. Je me tiens aussi éloignée que possible du besoin de la société de ranger les gens dans des boîtes.» Née à Miami, élevée en Amérique du Sud et à Londres, son parcours tient du conte de fées. Père banquier écossais- argentin, mère psychologue anglo-espagnole, six frères et sœurs… «J’étais la plus jeune, un peu à part. Je faisais de la danse classique. Grandir dans la campagne proche de Buenos Aires a fait naître tout le monde imaginaire et toute la fantaisie qui est en moi. On pouvait bien me laisser seule, pas de problème, j’avais tous ces personnages dans ma tête.» Lorsque son père déménage la famille à Londres, elle est harcelée à l’école, sa beauté étrange dérange, elle ne parle plus qu’espagnol en espérant que ses parents retourneront dans le paradis de son enfance. Elle fuit à New York, décide d’arrêter l’école pour le cinéma, revient à Londres. A 17 ans, alors qu’elle promène son chien le soir en essayant les talons hauts de sa mère près du magasin Harrods, elle est suivie en voiture par Sarah Doukas, la découvreuse de talents qui avait lancé Kate Moss. «Si vous vous arrêtez, vous ne le regretterez pas !» entend-elle. «J’ai accepté à condition de ne pas perdre de vue mon but : le cinéma», explique la future actrice.
A 19 ans, engagée pour une séance photo avec l’équipe de Downtown Abbey, l’acteur Allen Leech remarque son originalité et la présente à son agent… C’est donc de l’autre côté du miroir qu’Anya Taylor, au dernier Festival de Toronto, assurait la promotion de ce grinçant Menu qui nous est proposé avec Ralph Fiennes et Nicholas Hoult, avec qui elle forme le jeune couple du film où elle a retrouvé la rousseur qui avait fait sa marque à ses débuts. Et découvert la cuisine comme un art : «Je pense que je n’aurais jamais découvert la haute gastronomie à un tel niveau si je n’avais pas joué dans ce film si surprenant. Je suis nulle en cuisine. Mais j’ai acquis pour l’art culinaire un respect immense.»
Anya ensorcelle, mais c’est surtout sa gentillesse, sa simplicité qui ressort en interview. Aucune prétention, alors qu’y il aurait de quoi avoir la grosse tête : elle est en plein tournage du rôle-titre de Furiosa, le prologue de Mad Max : Fury Road, de George Miller, où elle joue la jeune Charlize Theron ! Les premières images avec un Chris Hemsworth la barbe longue sont étonnantes, Anya y apparaît cheveux châtains en bataille, sans maquillage, une manchette verte au bras qui permettra plus tard aux effets spéciaux de visualiser son avant-bras coupé. Anya Taylor-Joy dans l’univers sauvage de Mad Max, c’est pour 2024, mais nul doute qu’elle nous renversera encore d’ici là.
Juliette Michaud
Photographie principale par Thomas Whiteside / Trunk Archive
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