Bradley Cooper. Le nouvel homme-orchestre d’Hollywood a coécrit, joue, met en scène et produit Maestro, un pur bijou à la fois conçu pour l’inévitable Netflix, dédié au légendaire chef d’orchestre et compositeur Leonard Bernstein. Vous avez dit pari fou, audacieux, somptueux ? Le beau gosse des Very Bad Trip, la rock star déchue d’Une étoile est née, se retrouve, à 48 ans, à conduire “pour de vrai” l’orchestre philharmonique de New York, à diriger Mahler et Schumann, guidé par les plus grands maestros contemporains, parmi lesquels Michael Tilson Thomas, un protégé de Bernstein qui dirigeait le San Francisco Symphony, Gustavo Dudamel, chef de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles, et Yannick Nézet-Séguin, le directeur musical du Metropolitan Opera et de l’Orchestre de Philadelphie, qui a servi de consultant dans Maestro, donnant des indications à Bradley Cooper pendant le tournage à l’aide d’une oreillette.
Début des années 1980. Nous sommes près de Philadelphie, Bradley grandit dans une maison pleine de musique. Il joue de la contrebasse et raffole des Looney Tunes à la télévision, surtout quand Bugs Bunny et Tom et Jerry imitent à la folie des chefs d’orchestre. A 8 ans, il commande une baguette de chef au Père Noël. Le sort en est jeté ! «A la maison, opéras et albums classiques jouaient sans arrêt sur le tourne-disque familial. Un enregistrement de Leonard Bernstein y tournait en boucle. Je passais des centaines d’heures, littéralement des centaines d’heures, à diriger un orchestre imaginaire du mieux que je pouvais du haut de mes 8 ans. Alors, la petite flamme dont j’avais besoin pour réaliser Maestro était allumée bien avant que ce projet arrive entre mes mains !» explique Bradley Cooper.
Maestro est un film événement, peut-être le plus enivrant de l’année. Dans la fosse d’orchestre, Martin Scorsese et Steven Spielberg jouent les producteurs. Marty était impliqué au tout début, lorsque le scénario de Josh Singer passait de bureau en bureau. Steven, qui devait à un moment réaliser Maestro, a préféré se consacrer à West Side Story (composé par Bernstein), tendant le projet sur un plateau à celui qui a toujours été pressenti pour le rôle-titre : Bradley Cooper. Il y a cinq ans, c’est Clint Eatswood qui lui avait passé le bébé du mythique Une étoile est née… son premier film comme réalisateur. Au préalable, c’est Bradley qui avait suggéré à Clint de tourner avec lui American Sniper. La complexe magie d’Hollywood !
Passant du noir et blanc (la première partie du film) à la couleur, de l’intime à l’épique, avec une extraordinaire fluidité, Maestro est tout sauf une biographie chronologique traditionnelle. Pour la presse américaine, c’est un «kaléidoscope virtuose», qui reproduit, certes, la «schizophrénie artistique» de Leonard Bernstein, mais surtout la confusion et la beauté d’une «histoire d’amour authentique et non conventionnelle», comme la décrit Bradley Cooper. Celle qui consume Leonard Bernstein et sa femme, l’actrice chilienne Felicia Montealegre (jouée par Carey Mulligan, la formidable interprète de A Promising Young Woman et She Said), confrontée aux démons de son époux : son homosexualité, la drogue… alors qu’ils ont trois enfants. Pour un Bradley Cooper obsédé par les thèmes de l’identité et le conflit entre vie artistique et vie privée, voilà de quoi être transporté !
Carey Mulligan résume ainsi la partition : «Bradley m’avait souvent vue jouer sur scène. C’est pour cela, en plus d’une ressemblance avec Felicia, qu’il m’a embauchée. Mais aussi à la condition que je participe avec lui à cinq jours d’ateliers où nous devions ouvrir notre âme l’un à l’autre, créant une alchimie entièrement unique… Je sais que les gens diront que Maestro est un biopic, mais ce n’est pas le cas, c’est un film sur le mariage, un mariage de vingt-sept ans, très compliqué.»
La complexité, Bradley Cooper en redemande, avide d’un cinéma comme on n’en fait plus, élégant, puissant, sophistiqué, un cinéma audacieux qui vous transporte, et qui fait dire au Hollywood Reporter qu’il pourrait bien être «l’héritier direct, à la fois de Sydney Pollack, d’Ernst Lubitsch et de John Cassavetes». Rien que ça ! C’est lorsque Bradley Cooper a montré à Steven Spielberg une première mouture d’Une étoile est née que tout s’est précipité. «Nous étions assis chacun à un bout opposé de la salle, Steven au premier rang. Au bout de quinze minutes, pile pendant la séquence où Ally (Lady Gaga) me rejoint en plein concert, un plan clé qui commence lorsqu’elle donne sa démission, avec la tension rythmée par la batterie qui monte… je vois Steven qui se lève ! Je me dis : “S’il va aux toilettes à ce moment crucial du film, c’est cuit !” Je commence à défaillir, quand je sens sa présence juste derrière moi, et il me souffle à l’oreille avant de regagner son siège : “C’est toi et personne d’autre qui va réaliser ce sacré Maestro !”» Steven Spielberg confirme l’anecdote : «Il m’a juste fallu quinze minutes pour comprendre que le talent de ce brillant acteur n’était égalé que par son aptitude à filmer. Il prenait tant de risques cinématographiques, et ce n’était que son premier film, j’étais vraiment impressionné.»
Bradley Cooper a toujours voulu être acteur, il a fait ses classes à l’Actors Studio. En une décennie bien remplie, et après dix premières années à Hollywood à en baver (il s’était même fait renvoyer de la série Alias), Bradley Cooper s’est bonifié, magnifié, et s’est hissé au rang des plus grands. Il a les plus beaux yeux bleus du cinéma depuis Paul Newman, la décontraction la plus irrésistible depuis Steve McQueen… Le cool, on l’a ou on ne l’a pas. Ce n’est pas un hasard si Steven Spielberg a depuis demandé à Bradley Cooper de revisiter avec lui le personnage du détective Frank Bullitt pour un remake qui n’attend que la fin de la grève des acteurs à Hollywood pour se tourner. Ce n’est pas un hasard si Vuitton fait porter à l’acteur sa montre Tambour, un modèle sportif unisexe déjà culte. Leonardo DiCaprio et Brad Pitt, deux de ses amis proches, n’ont qu’à bien se tenir. Sobre depuis vingt ans, c’est Bradley qui a aidé Brad à le devenir à son tour…
Pour la famille de Leonard Bernstein, qui a donné à Bradley Cooper tous les droits sur la musique et lui a ouvert toutes les archives (Maestro a éclipsé un projet rival sur Bernstein avec l’acteur Jake Gyllenhaal), il y a une ressemblance fusionnelle entre le charisme et l’énergie ravageurs de leur père et celui de l’acteur. «Notre père était inspirant en tant qu’être humain. Les gens ont essayé de le définir encore et encore, et il a résisté. Il voulait tout.» Jamie, Alexander et Nina Bernstein ont aussi balayé, agacés, la polémique sur le nez trop proéminent de Bradley Cooper dans le film : «Il se trouve que Leonard Bernstein avait un beau gros nez. Bradley a choisi d’utiliser du maquillage pour amplifier sa ressemblance. Cela nous convient parfaitement.» On peut s’amuser à rappeler que Bradley Cooper, nommé pour le meilleur acteur dans Une étoile est née, avait perdu l’Oscar au profit de Rami Malek, qui n’y était pas allé de main morte sur les prothèses faciales ! Le film avait récolté huit nominations, mais seule la chanson Shallow avait gagné. Cette année, Bradley Cooper sera en concurrence aux Oscars avec Cillian Murphy (Oppenheimer), Leonardo DiCaprio (Killers of the Flower Moon)… mais le sacre de Bradley Cooper (et celui de Carey Mulligan) serait amplement mérité. Bradley parle d’une belle voix grave, virile. On peut admirer son sourire irrésistible, sa bienveillance, car, oui, pour parfaire sa classe, il est d’une gentillesse absolue et a beaucoup d’humour. «OK, il y a des jours où je me trouve pas mal, mais je peux me sentir carrément moche devant le miroir, et, en grandissant, je n’avais absolument rien de spécial», nous avait-il dit dans un français qu’il parle couramment durant l’un des nombreux junkets où nous avions eu la chance de le rencontrer. Bradley Cooper, ou l’éclat ravivé d’Hollywood.
«Maestro», de et avec Bradley Cooper, Carey Mulligan, Sarah Silverman, Matt Bomer, Maya Hawke… Sur Netflix le 20 décembre.
Juliette Michaud
Photographie principale : August / Taili Song Roth
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