Du parfum de niche au best-seller mondial, Bruno Jovanovic se démarque, avec une écriture qu’il souhaite «simple et percutante». Rencontre à l’occasion de son dernier opus, Explorer Platinum, le nouveau parfum masculin de Montblanc.
Y a-t-il un choc olfactif à l’origine de votre vocation ?
Bruno Jovanovic. Les parfums de maman ! Ma mère était folle de parfum ! Elle cherchait la beauté partout, et moi, c’est pareil ! J’ai mis cinquante ans à le comprendre. Quand elle travaillait, je gardais avec moi son parfum, c’était comme rester avec elle. Apprendre à mettre en relation les parfums avec les fleurs et les jardins que l’on visitait ensemble a formé le garçon de 6 ans que j’étais. J’ai donc vingt-cinq ans d’avance sur mes collègues ! C’est elle qui m’a donné cette passion et m’a ouvert les yeux sur la richesse de cette industrie et toutes ses opportunités artistiques et créatives.
Quel est le style Bruno Jovanovic ?
Un message lisible et donc mémorable. Même si le patchouli est ma matière première préférée, je ne vais pas me limiter à ne faire que du patchouli, au contraire ! Tout m’intéresse. Je fais des formules simples et très courtes. Je crée des structures facilement définissables, comme par exemple une rose patchouli. Le mystère n’arrive qu’après, au porté, il y a des clins d’œil et je fais parfois des petites surprises.
Quel est le parfum dont vous êtes le plus fier ?
Je les aime tous. Le Fierce d’Abercrombie & Fitch, parce qu’il est devenu une référence mondiale dans la parfumerie masculine, tout le monde s’en est inspiré. My Way d’Armani, qui est mon dernier gros succès chez IFF avant que je rejoigne DSM-Firmenich. Monsieur de Frédéric Malle était notre ode au patchouli, et c’est peut-être mon préféré… secrètement. Mais je n’oublie pas le Coach for Men qui a été un grand succès commercial aux Etats-Unis. J’aime tout ! Je prends autant de plaisir à faire une bougie qu’un produit très prestigieux ou très designer.
Vous citez le principe philosophique de Kant selon lequel «le beau est ce qui plaît universellement sans concept». Pourquoi ?
Quelque chose qui est beau va transcender les cultures, les âges. Il y a une universalité. C’est une vérité que l’on trouve partout et qui réunit tout le monde, donc peu importe le concept. J’ai toujours cherché de la beauté dans tout, et cela résume bien le métier d’artiste ou de créateur. Par exemple, dans Angel, le parfum de Mugler, il y a quelque chose de très beau qui se passe, même si on n’aime ni le patchouli ni les notes gourmandes. Cela transcende les goûts. Pour cela, j’aime autant faire des parfums de niche que des parfums plus commerciaux.
Pensez-vous à une typologie d’homme en créant un parfum ?
Toujours. Cela peut être en adéquation avec ce que la marque voit ou être ma propre vision personnelle… que je ne vais pas forcément partager. Pour l’Explorer Platinum, nous avions un brief clair et défini de la part de la maison Montblanc. Il fallait que ce soit très environnemental, très paysage, très localisé géographiquement… Nous nous sommes moins souciés de l’homme que de l’ambiance du Mont Blanc : de grands espaces blancs, les sommets, le côté froid et vivifiant mais aussi très pur, avec énormément de masculinité grâce à la présence de bois et de forêt, qui étaient les mots-clés du brief.
Vous avez cocréé ce parfum avec Nathalie Lorson et Fabrice Pellegrin. Comment avez-vous traduit ce voyage à travers les montagnes enneigées ?
Nous souhaitions insister sur le côté forêt et naturalité virile. C’est un parfum créé autour de la mousse de chêne et des bois, mais avec une fraîcheur tranchée qui vient contraster le côté très boisé. Avec Fabrice Pellegrin nous avons aimé utiliser le cèdre d’Alaska, qui est rude, brut et naturel. Nathalie Lorson a amené une chaleur plus intime et arrondit le propos. Peut-être qu’à force de chercher à outrance la masculinité, nous avions oublié de ramener une part plus sensuelle et féminine.
Quel est votre engagement écologique ?
C’est une priorité numéro un. DSM-Firmenich, une société pionnière, est très engagée sur tout ce qui est soutenable. Nous avons un outil de création incroyable, qui m’indique le taux de renouvelabilité et l’impact carbone d’un produit. J’ai aussi accès à une palette, comme pour les peintres, de ma collection de matières premières, et nous nous dirigeons vers beaucoup plus de renouvelabilité et de traçabilité. L’intelligence artificielle m’aide énormément.
Quels sont les liens entre l’intelligence artificielle et le parfum ?
Pour tout ce qui touche la créativité, le parfumeur, avec ses connaissances, n’est pas remplaçable ! Bien entendu, j’ai toutes mes matières premières en tête, j’en ai entre 5 000 et 6 000, mais l’IA est un gain de temps incroyable, parce que l’ensemble du savoir-faire des parfumeurs et des chimistes est réuni. Cela va me donner plusieurs choix lorsque je vais avoir un problème de soutenabilité ou de stabilité. Plus l’intelligence artificielle m’aide, plus je peux vraiment me concentrer sur la création. Et ça, c’est un luxe inouï !
Propos recueillis par Anne Delalandre
Photographie principale : © Firmenich
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