En 2005, sort Orgueil et préjugés de Joe Wright, vivier de jeunes actrices anglaises devenues aujourd’hui incontournables. Parmi elles Rosamund Pike, mais aussi Carey Mulligan et Keira Knightley qui vont devenir très proches et se retrouver cinq ans plus tard dans Auprès de moi de Mark Romanek. Mais au lieu de suivre une courbe fulgurante comme celle de son amie Keira, la fausse ingénue Carey trace son chemin doucement, mais sûrement, passant avec autant de tact que d’aplomb de rôles de muses et amoureuses à ceux de frondeuses, chez Michael Mann, Baz Lhurman ou les frères Coen, volant la vedette à Leonardo DiCaprio dans Gatsby le magnifique, Ryan Gosling dans Drive, Michael Fassbender dans Shame…
Jusqu’à ce rôle étourdissant de justicière post-MeToo dans Promising Young Woman d’Emerald Fennell, pour lequel, malgré sa performance choc et sa robe Valentino couleur du soleil le jour J, elle n’a pas décroché l’Oscar. Et c’est peut-être tant mieux ! Car c’est son mélange de fraîcheur et d’indépendance, son côté nomade qui nous séduit tant chez Carey Mulligan, 35 ans, maman de deux jeunes enfants et épouse du musicien Marcus Mumford. D’autant que tous ses films à venir lui assurent un avenir en or. Gros plan sur celle qui est déjà, pour nous, l’une des actrices gagnantes de l’année.
Votre magnifique carrière s’accélère tout à coup, on vous a revue tout dernièrement sur Netflix avec Ralph Fiennes dans The Dig…
Carey Mulligan. Ce n’est pas intentionnel, mais les projets viennent plus vite à moi. Des films originaux comme The Dig ne se refusent pas. J’en ai plusieurs sur le feu, dont Spaceman avec Adam Driver et mon ami Paul Danno, Fingernails, produit par Cate Blanchett qui est un de mes modèles. Et je tourne à New York dans Maestro de et avec Bradley Cooper, qui tient le rôle du compositeur et chef d’orchestre Leonard Bernstein : je joue sa femme. Le film demande beaucoup de préparation et de recherches… de quoi tenir une mère de deux enfants de moins de cinq ans occupée, donc actuellement je ne cherche rien, je laisse venir.
Promising Young Woman a été un virage ?
Oui. Nous avons tourné le film en avril 2019, puis il y a eu l’arrêt du monde, mais je savais que nous avions réussi quelque chose de très fort, unique, un personnage féminin vraiment riche et imprévisible, un film qui marchait sur la corde raide, à mi-chemin entre comédie et tragédie, humour noir et ce parfum surréaliste qui vous accompagne durant tout le film. Pas de l’horreur, mais presque, comme un truc magique à découvrir. Au début, je ne savais même pas comment aborder le scénario.
Vous étiez amie avec Emeral Fenell, à qui on doit la série Killing Eve, n’est-ce pas ?
Oui, nous avions tourné ensemble dans un épisode de télévision anglaise sur Agatha Christie, puisque Emerald est aussi actrice (c’est la Camilla de The Crown), et j’adore le festin jubilatoire qu’est Killing Eve. Ces nouvelles séries, Fleabag, Killing Eve, I May Destroy You, faites entièrement par des femmes, sur des femmes qui ne se comportent pas du tout comme la société le voudrait, ont été tellement novatrices, excitantes et inspirantes ces dernières années. J’adore faire partie de ce courant qui renvoie au cinéma hollywoodien des années 1930, quand les femmes en remontraient aux hommes devant et derrière la caméra.
Pour ceux qui ne l’ont pas encore vu, Promising Young Woman met en scène une jeune femme, Cassie, qui venge méthodiquement sa meilleure amie en remontant la filière des hommes qui ont abusé d’elle.
C’est un personnage à la limite de l’antipathique, qui était terriblement libérateur à jouer. À la fois complètement outré et sincère, placée dans un décor très pastel et néons, pour mieux faire ressortir la noirceur, de son projet, et de ces attitudes abusives contre les femmes vulnérables, la triste culture du viol, tellement normalisée voir glorifiée parfois.
Un personnage qui demande une maturité d’actrice.
Lorsque j’ai tourné Wildlife sous la direction de Paul Dano, je faisais parfois arrêter une scène, au bord des larmes, car je n’y arrivais pas. Paul Dano a encouragé ce bafouillage artistique : “Trouve juste la vérité du moment.” disait-il. Ne pas chercher à plaire, trouver ce qui fait l’essence d’un personnage à travers ses émotions les plus secrètes. Sur Promising Young Woman, encouragée par Emerald qui vous donne le sentiment que rien ne peut mal se passer, je me suis enfin laissée aller, j’ai tout essayé sans honte, sans chercher à m’excuser. L’humain n’est ni lisse ni parfait. Le rôle de Cassie n’incite pas à la vengeance contre les hommes non plus. C’est pourquoi la chanson Toxic de Britney Spears revient. Il nous demande de questionner nos propres comportements.
Est-il rare de faire un film comme Promising Young Woman, où, justement, toutes les intentions de départ sont celles que l’on voit à l’écran ? Et le mouvement MeeToo a t-il changé la qualité des rôles pour les femmes ? Où en sont les choses à Hollywood ?
J’ai été souvent découragée lorsque j’avais le sentiment d’avoir révélé tous les aspects d’un personnage, d’en avoir révélé les zones “sombres” qui sont les plus intéressantes, et de voir qu’il ne restait rien de cela au montage. Je me suis souvent sentie trahie par les réalisateurs. Mais je vois une différence depuis quelques années dans l’écriture des rôles féminins. Les gens ont compris qu’il y avait une demande pour les films qui explorent différentes facettes de la féminité, sans se contenter de rabâcher les traditionnels archétypes. Pour le reste, je pense avoir toujours été rémunérée de façon juste, je n’ai pas connu de fossé de salaire par rapport à mes partenaires masculins. Mais plus de transparence est toujours nécessaire. Je suis pour les codes de conduites qui précisent ce qui est approprié ou non par rapport au harcèlement sexuel. Les abuseurs ne pourront plus dire qu’ils n’étaient pas au courant.
Votre père était directeur d’hôtel, ce qui vous a habitué à une vie nomade, quel souvenir en gardez-vous ?
Je suis la seule à exercer une profession artistique dans la famille. Si je me penche sur mon enfance et revois tous ces hôtels où nous avons vécu, notamment en Allemagne, je m’en souviens comme un conte de fées. Cela m’a donné le goût de vivre entourée de plein de gens : le personnel des hôtels faisait partie de ma vie, les femmes de ménage me mettaient dans les chariots de linge pour me balader de chambre en chambre… Dès l’enfance, un élément magique a ensoleillé ma vie.
Votre playlist personnelle ?
Tout ce qui est comédie musicale. C’est en allant voir une représentation du Roi et moi, toute gosse, à Londres, que j’ai voulu devenir actrice.
Propos recueillis par Juliette Michaud
Photographies par Richard Phibbs
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