Animé par sa passion de la couture, Charles Sébline a choisi de se concentrer sur une pièce essentielle: la chemise. Pour sa marque éponyme, il crée des modèles de haute qualité qui séduisent autant les hommes que les femmes. Rencontre.
Pourquoi un choix unique: la chemise?
J’aime bien l’idée de me concentrer sur un seul produit et de le faire au mieux. Je travaille de façon émotionnelle, je réalise des choses qui me plaisent. J’adore cet exercice de monoproduit, créer un vêtement simple mais le plus beau possible. A une époque, je portais beaucoup de chemises vintage que je trouvais dans des « second hand shops » et des « charity shops » à Londres, probablement conçues et taillées sur Jermyn Street, la rue connue pour ses chemisiers. Je n’avais pas beaucoup d’argent, c’etait joli, différent, et des gens les remarquaient. J’aime l’idée que ce soit un vêtement très accessible: une chemise, ça se porte très facilement avec un jean, froissée ou repassée, pour sortir, pour aller prendre un café, pour rencontrer sa belle-mère, dire au revoir à son amant… c’est vraiment tout-terrain.
Avant Sébline, vous avez travaillé pour de grandes maisons?
J’ai eu beaucoup de chance. Pour la haute couture, chez Yves Saint Laurent à l’époque de monsieur Saint Laurent. C’est là que j’ai appris à coudre. Puis j’ai travaillé un peu au studio de Saint Laurent, et ensuite, quand Tom Ford est arrivé, j’ai fait partie de l’équipe pour la collection Rive Gauche, femme et homme.
Vous définissez-vous comme un créateur de mode?
Non, je ne pense pas trop a la question… on peut devenir très rapidement un peu prétentieux. J’essaye de faire de manière la plus humble possible mon travail. Je détourne l’idée de la chemise, j’ai une connaissance technique qui me permet de developper des idées, des détails. J’utilise le plus souvent une popeline de coton italienne, car j’aime bien la façon dont ça se casse sur le corps, c’est assez graphique. Avec le temps, la popeline s’assouplit et vieillit très bien. J’adore le coton, car il fait penser aux uniformises, à des choses simples, sans chichis.
C’est la rigueur de l’uniforme qui vous séduit?
Aujourd’hui, tout le monde s’habille exactement comme il veut, c’est un peu contraire à cet esprit. C’est l’idée de choses que l’on va porter tous les jours. Au Japon, les facteurs, les policiers, certains enseignants portent des uniformes. Les matières sont souvent très belles, très nobles et vivent longtemps.
Sébline, c’est un mélange de rigueur et d’excentricité?
Oui, c’est un peu ça. Un peu comme moi…
Il y a une magnifique gamme de couleurs, des broderies…
Je fais toujours les couleurs moi-même, et nous les teignons à chaque saison. Les broderies sont réalisées à la main au Maroc dans une coopérative, dans le Haut-Atlas, près de Marrakech. Il y a un an, j’ai commencé à faire des brandebourgs: c’est très compliqué à réaliser. Il y a aussi la technique du sergé, un ruban de 5 centimètres que l’on vient mettre sur la patte de boutonnage au bord du col, sur la poche ou sur le bord de la chemise, un peu inspiré des chemises de polo vintage. L’idée, c’est de faire des choses qui me plaisent, qui me donnent envie et qui sont différentes. La rayure qui continue dans le sens de la manche, ça, c’est un truc que l’on ne voit pas ailleurs… La chemise Bunny Shirt, qui a l’air simple, est inspirée par Bunny Roger, un vrai dandy anglais, comme on le voit sur la photo de Norman Parkinson.
Vous faites des chemises pour les dandys d’aujourd’hui?
Je ne sais pas si ça existe encore. Nous avons peut-être tous un petit peu de dandy en nous…J’espère faire une proposition qui va séduire quelqu’un de plus contemporain, plus casual ou peut-être plus rock’n’roll, qui peut mélanger une de mes chemises avec un « cargo pant » ou avec un truc juste pour « hacker » une petite touche de dandy.
Où sont fabriquées les chemises?
Au Portugal. Le coton est italien, les broderies marocaines et le créateur moitié français, moitié anglais…
Et pour les femmes?
Je réalise des collections pour homme pour qu’elles soient volées par les femmes! Mais je réalise aussi des coupes spécifiques pour les femmes. J’ai une clientèle qui est très fidèle, avec des typologies différentes. Je pense que les gens aiment bien le mélange anglais-français. je me considère 100% français et 100% anglais. La partie française, c’est une certaine rigueur; la partie anglaise, c’est le jeu avec les codes, l’idée du très classique et de pouvoir le détourner, apporter des couleurs inattendues, les mélanger, être désinvolte…
just to have fun!
Propos recueillis par Anne Delalandre
A lire aussi Vincent Ruffin: «Pour moi, la couleur est un vecteur d’émotions»