Avec son air de chef des lutins smart, en un instant, Cyril Maisonnave te fait entrer en joyeuse poésie. A Paris, au Cristal Room Baccarat et chez Amelie, Maison d’art, à Nantes, La Ciotat ou Lisbonne, ses trésors enchantent salons et galeries. Mais comment est-il devenu designer tricoteur, créateur de couverts tricotés en métal qui n’ont a priori d’autre vocation que d’être beaux?
De fourchettes, de cuillères, de couteaux qu’en prenant en main on est tout étonné de trouver si souples, tout mous? Sa chatte Tricote pelotonnée sur le canapé, il commence son récit : après le divorce, vers 7-8 ans, il va vivre chez ses grands-parents, Dédé et Dédette. Toute jeune, à l’époque du charleston, Dédette a été brodeuse dans un atelier où on cousait les robes de l’Alcazar, dont celles de Mistinguett. Cependant, dans ce milieu très simple, s’il dit qu’il veut travailler dans la mode, Cyril sait qu’on va lui répondre : “Choisis plutôt un vrai métier.” Il enchaîne six ans de CAP de cuisine, de pâtisserie et de service militaire. Puis il devient vendeur boulevard Saint-Germain pour financer son rêve. Malchance : les directeurs de l’école de stylisme qu’il avait choisie partent avec la caisse…
Chance : sa place l’attend à l’Atelier Chardon Savard. Au moment de créer sa collection, en troisième année, il a envie de textures plus moelleuses que les draps en lin de sa grand-mère, et la directrice l’envoie apprendre à tricoter chez Isabelle Caltot. Il se revoit arriver dans sa fabuleuse maison aux murs couverts d’étagères remplies de fils de toutes couleurs et matières… Il passe styliste maille. Cyrille Chardon et Dominique Savard lui proposent alors: « Si tu veux, on achète les machines, on ouvre un atelier de tricot et tu seras le professeur. » Il a des étudiants fantastiques, mais, plus que les vêtements, l’intéresse la recherche textile. Il essaie d’autres matériaux, tel le fil de cuivre.
De fil en aiguille, il rencontre Marie-Hélène Soyer, émailleuse sur métal. Elle prépare le salon Révélations. Il lui tricote 365 feuilles d’arbre stylisées en nichrome qu’elle émaille. Installées sur des tiges à piano, avec les ombres portées par la verrière du Grand Palais, elles font grand effet. Marie-Hélène collectionne les cuillères en bois. Pour la remercier, il lui en tricote une en fil d’acier. Elle va visiter un musée d’art populaire en Bourgogne. Il l’accompagne. Là-bas, il songe au sort des merveilleuses ménagères en argent tombées en désuétude. Quand arrive le Covid, il cogite : « Si demain, il n’y a plus que quelques survivants sur Terre, que restera-t-il de nous dans 300 ans? Tout le monde se sert de couverts. On pourrait en retrouver dans des champs, entremêlés de barbelés, de poils d’animaux, ou pris dans des roches au fond des océans. » C’est cette histoire qu’il raconte : celle de couverts redécouverts, comme sortis du Titanic.
Quand il ne professe pas le tricot au Lisaa de Nantes ou ne magnifie pas des costumes d’Opéra, il crée de toutes pièces des vestiges. Il mélange inox, acier, cuivre, bronze, laiton, nichrome, avec des fils de soie, des perles de rocaille piochées dans la boîte de brodeuse de Dédette, avec des fils perlés récupérés sur des brocarts. Il les trempe dans de l’alun pour les enrober de cristaux, dans de l’eau très salée afin qu’elles s’oxydent jusqu’au vert-de-gris, ou dans du kombucha. Il les enterre, les déterre, y insère des racines, le fil orange d’une épuisette d’enfant, rouge de la rhubarbe dont il vient de cuisiner un crumble. Il ouvre des univers. Et les esprits à l’imaginaire.
Sabine Euverte
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