Qui eût pensé, lorsque nous la rencontrions pour la première fois à Los Angeles, alors que sa carrière peinait à prendre, que cette enfant de la balle, mal à l’aise avec la célébrité, deviendrait l’une des actrices phares de sa génération ? Son rôle dans Cinquante nuances de Grey a transformé la chrysalide en papillon et nourrit le mythe hollywoodien. Fille de Don Johnson et de Melanie Griffith, petite-fille de Tippi Hedren (la légendaire blonde hitchcockienne qui vit entourée de ses lions), Dakota a de qui tenir. Sans oublier le beau-père : le délicieux Antonio Banderas, qui lui fera faire, à 10 ans, ses débuts dans son film La Tête dans le carton à chapeaux. Le parcours de superstar semblait tracé.
Pourtant, cette native du Texas, qui a combattu la dépression pendant l’adolescence et s’est cherché dans le mannequinat, a toujours eu une vision ambivalente de son milieu. C’est peut-être ce qui la distingue. A la fois plus sauvage et plus abordable que les autres descendantes de grandes familles du show-biz. Comme si, derrière le calme apparent, le teint diaphane, le regard bleu clair, le look sage à la ville, se cachait une artiste plus punk rock qu’un simple produit glamour d’Hollywood. «Je baigne dans ce milieu depuis si longtemps, j’ai grandi sur les plateaux de tournage et j’ai toujours aimé ça, j’ai toujours su qu’un jour je serais actrice et que je le serais jusqu’à la fin. Je devais juste attendre mon tour. Mais j’ai vécu beaucoup de choses, notamment lorsque j’étais très jeune. C’est pour ça que je me sens plus vieille que mon âge. Et que j’ai une certaine lucidité. J’adore ce métier, mais je ne me suis jamais faite à l’idée qu’on puisse venir vous déranger à tout moment pour se faire photographier avec vous, je n’ai jamais compris que les gens ne puissent pas dissocier ce que vous faites à l’écran et votre vie de tous les jours.»
Notre première rencontre – était-ce pour 21 Jump Street ou Célibataire mode d’emploi (une de ces grosses comédies qui ne lui convenaient qu’à moitié), ou pour son petit rôle dans The Social Network de David Fincher ? –, elle était en retard. Pire, elle avait tout bonnement oublié le rendez-vous. Mais habitant tout près, au coin de Vine Street et d’Hollywood Boulevard, intersection du néo-Hollywood, celui des clubs de yoga et des bureaux de Netflix, elle avait sauté dans une tenue casual pour partager un buddha bowl. A peine coiffée, aucun maquillage, cool et jolie. «Quand je ne travaille pas, j’aime rester à la maison, boire du thé, traîner…»
Aujourd’hui, à 32 ans, Dakota Johnson s’est imposée comme l’une des valeurs sûres d’Hollywood. Déterminée à ne pas se laisser enfermer dans le registre qui l’a faite star, ses choix parlent pour elle. Elle a laissé les trois films de la série Cinquante nuances de Grey loin derrière elle, en jouant l’ex-femme de Johnny Depp dans le polar Strickly Criminal (elle est une des rares à défendre l’acteur), et a tourné A Bigger Splash et Suspiria, deux remakes de films cultes (dans le premier, elle reprend le rôle de Jane Birkin dans La Piscine), avec le réalisateur italien Luca Guadagnino. Elle enchaîne depuis des films d’auteur choisis avec une bonne dose de fraîcheur, en fille bien de son époque. Des films à voir pour la plupart sur les plateformes, c’est ainsi, mais tous ambitieux. Beaucoup de premiers longs-métrages, beaucoup de films de femmes. Comme The Lost Daughter, de Maggie Gyllenhaal, sur le “tabou” de la maternité, diffusé sur Netflix. Adaptation de Poupée volée, d’Elena Ferrante. Une femme solitaire en vacances à la mer observe obsessionnellement Mina, la jeune mère d’une famille de mafieux, et sa relation fusionnelle à sa fille… Dakota Johnson est une révélation. Pour un peu, elle volerait la vedette à Olivia Colman, qui a été nommée à l’Oscar pour le rôle ! «Maggie penche du côté du cinéma européen. La manière dont elle filme d’abord Mina comme un objet, avant de nous faire pénétrer dans sa psyché, fait même écho au travail d’Antonioni avec Monica Vitti», confiait-elle au Hollywood Reporter.
On a donc hâte de voir tous ses projets : I Am OK, de Tig Notaro et Stephanie Allyne, l’histoire vécue de deux meilleures amies qui ont encore bien des choses à apprendre l’une sur l’autre ; Daddio, de Christy Hall, avec Sean Penn : une jeune femme saute dans un taxi à l’aéroport et commence une longue conversation sur l’amour avec le chauffeur… Dates de sortie non encore confirmées, mais c’est pour cette année. Ou encore Persuasion, de Carrie Cracknell, d’après Jane Austen, avec Suki Waterhouse, prochainement sur Netflix. C’est le 17 juin, sur Apple TV+, que l’on découvrira le film que Dakota cite comme son coup de cœur absolu, prix du public au dernier Festival de Sundance : Cha Cha Real Smooth, de et avec Cooper Raiff. Le portrait d’un étudiant contraint de retourner habiter avec sa famille et d’organiser des bar-mitsva pour vivre qui se lie avec une jeune mère de famille… Deux rôles de mère coup sur coup pour quelqu’un qui ne l’est pas à la ville et s’en amuse. «En fait, mes enfants sont cachés dans un placard, personne ne le sait (rires). Non, je ne suis pas mère, mais j’ai grandi avec de nombreux demi-frères et demi-sœurs plus jeunes, je m’en suis beaucoup occupée. Et ma meilleure amie a deux enfants. Je l’ai regardée faire, je l’ai interrogée sur ses sentiments profonds depuis sa maternité.» Le scénariste-réalisateur-producteur-acteur Cooper Raiff a convaincu Dakota Johnson de jouer dans son film avant même de l’avoir écrit, et, s’il a pensé à elle, c’est justement pour son côté doux et maternel. Si féminin. C’est elle, en retour, qui a convaincu le jeune prodige de 26 ans de tenir le rôle principal de son premier long-métrage. «Cooper me fait penser à un chiot irrésistible. Il a une façon vraiment spéciale de voir les gens ordinaires et de les transporter à l’écran. Les petits budgets indépendants ne sont pas faciles à tourner : on bosse à la dure.»
L’éclosion sous nos yeux d’une “fille de” affranchie de son héritage. «Cet instant est un moment charnière où je peux ressentir plus profondément ce que cela représente d’être une femme dans le monde.» C’est dit sans prétention, de sa voix posée, plus grave qu’au cinéma, le regard limpide. Vivement ses prochaines apparitions à l’écran, grand ou petit, ou en habits de gala. Robe framboise Gucci, bustier noir Dior ou costume oversize Vuitton à effet miroir, couleur de lune et de ciel à la fois, les goûts mode de Dakota Johnson sont impeccables. Celle qui aime “traîner” à la maison, quand elle décide de briller, conquiert les tapis rouges. Tout en douceur.
Juliette Michaud
Photographie principale par Jack Waterlot
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