Vingt-cinquième volet au cinéma des aventures du héros de Ian Fleming, Mourir peut attendre s’annonce explosif. D’autant que le plus moderne de tous les James Bond, Daniel Craig, a accepté de reprendre du service pour la cinquième fois… mais à la condition que ce soit la dernière ! La décision semble lui réussir. Souriant et plus détendu qu’à l’accoutumée dans son blouson de cuir marron, avec quelques sympathiques kilos en plus, ce merveilleux acteur anglais de 51 ans, truculent détective dans A couteaux tirés – dont une suite est déjà prévue –, revient sur ses années Bond, nous parle de son émotion à tourner une page aussi marquante de sa carrière et de son plaisir à en ouvrir une autre.
Vous aviez affirmé en avoir fini avec 007 après Spectre, il y a cinq ans. Qu’est-ce qui vous a décidé à endosser le costume encore une fois ?
Daniel Craig. J’avais hésité principalement à cause de l’aspect physique du rôle. En étais-je capable encore une fois, encore capable d’affronter toutes ces scènes d’action ? Je me suis blessé sur chaque tournage, sur Casino Royale, sur Quantum of Solace, sur Skyfall et plus gravement sur Spectre. Appeler sa femme (l’actrice Rachel Weisz, ndlr) pour lui annoncer un accident n’est jamais agréable. Mais m’arrêter après Spectre m’aurait frustré. Il fallait que j’en fasse encore un pour que cela arrête de me trotter dans la tête.
Mourir peut attendre a été repensé pour faire évoluer la franchise. Cary Joji Fukunaga, connu pour True Detective, Beasts of No Nation et Jane Eyre, aux manettes, la star et créatrice iconoclaste de la série Fleabag, Phoebe Waller-Bridge, au scénario, l’ultra-branchée Billie Eilish à la chanson du générique et l’actrice anglaise noire de Captain Marvel, Lashana Lynch, pour incarner 007…
D.C. Cela faisait partie des arguments forts, d’autant que les producteurs ont eu l’élégance de me demander mon avis sur tout. Phoebe Waller-Bridge est seulement la deuxième femme qui a été créditée au générique d’un James Bond depuis soixante ans que la série existe (la première fois, c’était Johanna Harwood pour «Dr. No» et «Bons baisers de Russie», ndlr). Il était temps. Personnellement, j’ai toujours aimé les héroïnes de James Bond qui déjouent les stéréotypes, comme Monica Bellucci dans Spectre.
Vous retrouvez Léa Seydoux, dont le personnage renoue une idylle avec James Bond commencée sur Spectre… un casting en or: Rami Malek pour jouer le méchant, mais aussi Ralph Fiennes, Christopher Waltz… et enfin Ana de Armas, qui vous donnait déjà la réplique dans A couteaux tirés. Vous avez quelque chose à voir avec le casting ?
D.C. Parfois. Pour Ana de Armas, cela s’est déroulé en sens inverse. Je venais juste de terminer Mourir peut attendre avec elle, quand Rian Johnson, qui a réalisé A couteaux tirés, m’a demandé ce que je pensais de cette actrice «montante» pour rejoindre notre brochette d’acteurs à la Agatha Christie. Je l’ai vivement encouragé. Je serais heureux de pouvoir travailler sur chaque film avec une telle femme. Que ce soit dans Mourir peut attendre ou dans A couteaux tirés, Ana a dû trouver sa place dans des grosses productions, mais, dans les deux cas, elle s’est imposée, elle brille. Ana de Armas est là pour rester.
Le costume, les gadgets… que préférez-vous dans la panoplie de Bond ?
D.C. J’ai un faible pour l’Aston Martin DB-5 (Rires). Et Omega m’a fait l’honneur de me donner la fameuse montre en titanium. Mais, dans la vie, je n’ai pas besoin qu’on me donne des tas de choses gratuites. Etre heureux avec ma famille, tourner avec des gens sympas, faire du bon boulot, c’est ce qui m’importe.
Une partie du film a été tournée dans la ville historique de Matera, dans le sud de l’Italie.
D.C. Comme décor pour un James Bond, cela ne pouvait être mieux ! Nous avons tenu éveillés tous les habitants des nuits entières à conduire des bolides. J’espère qu’ils nous pardonneront un jour (Rires).
Comment avez-vous vécu la fin du tournage de James Bond, sachant que c’était votre dernier ?
D.C. C’était bien plus émouvant que je ne l’aurais pensé. J’ai essayé de faire un speech le dernier jour, et je n’y suis pas arrivé… Je suis vraiment, vraiment heureux d’avoir tourné ce James Bond, d’en avoir fait un de plus. Cela a été, comme ça l’est toujours, incroyablement dur physiquement, mais c’est un tel travail de collaboration : en terminant le tournage, j’ai réalisé que je connais certains des membres de l’équipe depuis trente ans.
Que faites-vous en général à la fin d’un tournage ?
D.C. Je pars en vacances et je m’allonge sur le sable sans rien faire, surtout si le tournage a été long. J’ai terminé le tournage du Bond un vendredi soir ; le lundi, j’étais sur la plage.
Retournons en arrière, il y a quinze ans, alors que les Broccoli, le célèbre couple de producteurs des James Bond, vous proposent le rôle pour la première fois…
D.C. Barbara et Michael Broccoli m’avaient contacté directement, et j’étais honoré. Enfant, je m’imaginais plutôt en Spider-Man, et les films qui me fascinaient étaient surtout des films comme Blade Runner. Le processus, avant ma décision finale, a été long, dix-huit mois, car je voulais d’abord lire le scénario. Une fois lu, je me suis dit que je regretterais toute ma vie si je refusais. Le studio m’a fait faire un bout d’essai, et Barbara m’a donné toute la confiance nécessaire. Car la pression était grande. Il y a beaucoup d’argent en jeu, dans ces films, et, de plus, la presse, les réactions à l’annonce de mon nom étaient blessantes, on me jugeait avant de voir ce dont j’étais capable. Je me suis saoulé aux Vodka Martini tellement j’étais stressé. Finalement, j’ai accepté, à condition de faire une bonne partie des cascades moi-même – autrement, je ne me serais pas senti crédible –, et là, j’ai commencé la gym. Entraînement intensif, cinq fois par semaine et tous les soirs après la journée sur le tournage.
Vous aviez vu les James Bond ?
D.C. J’ai vu chaque James Bond. Deux ou trois fois. Un film comme Dr. No était exceptionnel. Ce sont des œuvres marquantes, sexy, brillantes. La façon dont Sean Connery parvenait à insuffler un clin d’œil ironique à tout ça est extraordinaire.
Votre définition de «sexy» ?
D.C. Je l’ignore. Je sais juste que si vous jouez à être sexy, cela ne marche pas.
Comment voyez-vous votre carrière, à présent que vous voilà plus libre ?
D.C. Je n’ai pas de plan. J’ai beaucoup de chance d’être dans une situation où je peux lire des scénarios qui viennent à moi, avec une très bonne équipe autour de moi pour filtrer ce qui ne me correspond pas… A ce stade de ma carrière, je ne veux travailler qu’avec les gens que j’aime bien. La vie est courte. C’est pourquoi je vais retravailler avec Rian Johnson (A couteaux tirés). Je connais Rian depuis longtemps, nous parlons ensemble de films depuis vingt ans, ma femme et lui ont fait un film ensemble, et elle l’adore. Je veux cultiver ce type de relations: travailler dans la joie.
C’est vraiment votre dernier James Bond, alors ?
D.C. Oui. Quelqu’un d’autre doit y aller.
Propos recueillis par Juliette Michaud.
Photographie Austin Hargrave
«Mourir peut attendre», de Cary Joji Fukunaga, avec Daniel Craig, Rami Malek, Léa Seydoux, sortie le 6 octobre.
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