«C’est fou ce que vous êtes belle. Et jeune !…» Ça m’a échappé, tant c’est sidérant. Anouk Grinberg aura 60 ans au printemps. On se réjouit de la revoir bientôt aux César avec les équipes de La Nuit du 12 et de L’Innocent, deux des meilleurs films de l’année. Mais c’est loin d’être tout. Théâtre, livres, pastels, broderies : Anouk Grinberg multiplie les canaux pour nous irriguer de sa «joie très ancienne». Elle nous revient, régénérée, resplendissante. Incroyablement vivante, grâce aux gens qu’elle aime, dont :
1 / ALAIN FRANÇON. «Il est le metteur en scène avec qui je viens de travailler sur Et pourquoi moi je dois parler comme toi ? au Théâtre de la Colline. On se connaît depuis quarante ans. C’est un titan de délicatesse, un monstre de précision, d’exigence et d’empathie. Il a une science des textes hallucinante. En vous parlant de virgules, de points, de passages à la ligne, il fait jaillir toutes les émotions du monde. C’étaient des répétitions très intenses, heureuses, libres et libératrices, baignées dans une chaleur constamment tempérée par sa rigueur si fertile. Il fallait oser, pour jouer ces 26 personnes touchées par la folie, être sans a priori, ouverts à leur humanité. Oser les habiter, sans rien singer.»
2 / CAROLINE MARCADÉ. «Chorégraphe, elle travaille depuis des années avec Alain Françon pour rendre plus graphique le corps des acteurs. Elle a été fantastique avec moi. Je me suis mise à danser dans ce spectacle. Elle se servait de ce qui émanait de moi pour le déployer en un geste artistique assumé. Comme si elle avait ouvert mon espace : je croyais vivre dans un 4-pièces. En poussant des portes, c’est devenu bien plus grand. Et tout ça avec une joie de vivre, un humour… Ex-danseuse étoile de Carolyn Carlson, c’est une toute petite femme, encore plus petite que moi, une bombe atomique d’énergie pour qui tout devient l’occasion d’inventer du corps et de la liberté.»
3 / 4 / MARIE-LORRAINE COLAS et ODILE JACOB. «Avec ces éditrices, j’ai longuement cheminé pour mener à bien le livre Dans le cerveau des comédiens. Elles ne m’ont pas forcée à entrer dans leur cadre, elles m’ont incitée à écrire
comme j’ose jouer ou dessiner, libérée du devoir de faire ce qu’on attend de vous, pour faire ce qu’intimement vous avez à faire. J’avais envie de comprendre ce qu’on faisait dans la vie, nous, les acteurs, quel genre d’humains on était à passer notre temps à sortir de notre peau pour entrer dans d’autres. Je me demandais : est-ce qu’on fait du mal à notre cerveau quand on le fait sauter comme du popcorn, ou est-ce qu’il aime ça ? Est-ce qu’on ment quand on joue ? J’ai passé huit ans à réfléchir avec les plus grands neuro-scientifiques, qui ont accueilli ma recherche, et ce que j’ai compris au cours de cette enquête a changé ma vie.»
5 / 6 / LéNAÏG BREDOUX ET MARINE TURCHI. «Ce que ces deux journalistes de Mediapart ont chamboulé, ce n’est pas ma vie seulement, c’est “la” vie. Elles ont été leaders dans cette révolution où on a découvert ce que les femmes vivaient, ce que les hommes faisaient vivre aux femmes. Ce sont des féministes intrépides, bosseuses, calmes et solaires. J’aime bien les gens qui se battent pour éclairer le monde.»
7 / ANNE-SYLVIE BAMEULE. «Joyeuse, foutraque, mais la tête bien sur les épaules, elle a un sourire déglinguant d’enthousiasme. Aujourd’hui, elle a pris la relève de la famille Nyssen chez Actes Sud. Il y a deux ans, alors qu’elle s’occupait des beaux livres, elle est tombée sur mes dessins sur internet et elle m’a contactée pour faire un livre d’art. Ce livre s’est fait avec elle, une graphiste géniale, Christel Fontes, un éditeur lumineux, David Lestringant, et moi. Ils ont reçu mon petit peuple de dessins avec gourmandise et humour, et le livre, Mon cœur, pète de santé. J’aime sa liberté. On a été quatre à la fabriquer. Merci à eux.»
8 / GILLES NAUDIN. «C’est un monsieur secret, discret et fidèle, qui compte beaucoup pour moi, mon galeriste depuis quinze ans. C’est un homme de goût, et je suis fière d’être chez lui. Il dit qu’il ne faut pas parler des dessins, pour permettre aux gens de se les approprier. Il ne se répand pas en compliments, n’use pas de superlatifs – alors, on peut le croire. Il est l’inverse de ces gens mondains qui vous serrent dans les bras et vous oublient deux secondes après.»
A cette constellation qui l’entoure de confiance manquait une lumière de l’enfance :
9 / JEANNE D’ARC. «Quasi analphabète, elle a tenu tête au procès qui lui était fait, par la grâce de son innocence. C’est l’affrontement entre la foi dans ce qu’elle a de plus pur et l’Eglise dans ce qu’elle a de plus ranci et mortifère. Il faut lire les minutes du procès, cet ouvrage historique en 8 volumes où tout a été consigné. J’en ai proposé un montage au Festival d’Avignon, mais, indépendamment de ce que j’ai pu faire sur elle, c’est surtout un mystère de vaillance. Et puis, c’était une enfant, seule… Gamine, moi, je vivais dans une maison d’intellectuels remplie de livres. Et je ne lisais qu’un seul livre… sur Jeanne d’Arc.»
Sabine Euverte
Photographie principale par Laura Stevens
«Mon cœur», Anouk Grinberg (Actes Sud).
«Dans le cerveau des comédiens. Rencontres avec des acteurs et des scientifiques», Anouk Grinberg (Odile Jacob).
A lire aussi : Des gens que j’aime : Jean-Michel Othoniel, sculpteur ubique