On a tous en nous quelque chose de Michel Gondry. Les images de son génie juvénile pulsent dans nos artères et se baladent dans nos synapses. En ce samedi soir, après avoir un peu dansé le Mia et Around the World, j’ai à nouveau halluciné devant la kyrielle mondiale de ses autres clips (pour les Stones, Paul McCartney, Gainsbourg…). Puis, j’ai songé à ses pubs, à ses films : les ineffaçables Eternal Sunshine of the Spotless Mind et Be Kind Rewind, La Science des rêves, L’Ecume des jours… Qui figurerait dans sa liste ? Björk ? Jim Carrey ? Philip K.Dick, dont il voulait adapter Ubik ? Son grand-père Constant Martin, l’inventeur d’un des premiers synthétiseurs ainsi que des carillons électroniques des gares et aéroports ? A 10 heures pile à Los Angeles, 19 heures à Paris, il m’a annoncé : «Les gens que j’ai choisis sont ceux qui m’ont apporté très tôt, de manière ponctuelle, un conseil, une sensation, qui sont restés.»
1/ MA PROF DE FRANÇAIS en 4e. «J’étais au lycée Hoche à Versailles. C’était une dame qui me paraissait relativement âgée, je ne sais plus son nom. “Votre vie, nous a-t-elle dit, est aussi intéressante que celle de n’importe quelle personne connue ou que vous admirez. Ne vous sentez pas gênés de parler de vous pour raconter des histoires.” Ces simples mots ont libéré quelque chose en moi que je ne pensais pas pouvoir être enrichissant pour les autres. Mais aussitôt, elle a ajouté : “Evidemment, si quelqu’un a, par exemple, beaucoup voyagé, c’est mieux…” Elle a ouvert une porte qu’elle a fermée. Et je l’ai forcée, grande ouverte, en disant : “Là, je ne suis plus d’accord.” En deux phrases, elle m’a permis de prendre confiance en mon monde, et de l’affirmer.»
2/ JOHNNY HALLYDAY en 1973. «On était très variétés du samedi soir dans ma famille. Je me souviens d’une sensation indescriptible. Je devais avoir 10 ans. Quand Johnny Hallyday passait à la télé, maquillé, il atteignait une sorte de perfection au-delà de la perfection. C’était comme une couleur que je n’avais jamais vue. Un moment en dehors de la normale.
Il remplissait toutes les petites crevasses de mon cerveau. En grandissant, mon sentiment est devenu différent. Je le respecte, mais je ne peux pas dire qu’il ait énormément compté dans ma vie. Je ressentais aussi beaucoup d’admiration pour Julien Clerc, dont j’ai d’ailleurs plus tard réalisé un clip. J’avais vu une émission qui s’appelait Numéro 1 à Julien Clerc. Je n’avais pas bien compris le principe. Mes parents m’avaient dit : “La semaine prochaine, ce ne sera pas lui, ce sera Gérard Lenorman. Mais tu verras, ils se ressemblent.” La semaine suivante, j’ai été extrêmement déçu. Pour moi, Julien Clerc, c’était le chef de l’émission. J’avais un poster de Bob Dylan. Je ne savais absolument pas qui c’était. Je l’avais collé seulement parce qu’il ressemblait à Julien Clerc.»
3/ JANIS JOPLIN. «On écoutait beaucoup de R & B et de musique classique. Pour m’endormir, je chantonnais du Bach, à ma façon, n’importe comment. Mon frère est revenu de vacances avec un disque de Janis Joplin et il n’a pas arrêté de le passer. J’en avais marre. Un an plus tard, je l’ai joué à mon tour et je suis tombé dedans. Elle était déjà morte depuis cinq ans. C’était exactement la musique que j’avais envie d’entendre. Je suis devenu complètement amoureux d’elle. C’était la personne la plus importante pour moi en dehors de la famille. On est allés voir Janis avec ma maman, au cinéma Déjazet, place de la République. Il y avait un disque qui s’appelait Try. Un peu comme Que je t’aime !, elle le répétait pendant toute la chanson. J’avais compté les fois. Le double album live était introduit par un speach. Je le connaissais par cœur sans en comprendre un seul mot. Quand j’entends ses chansons, tout s’emboîte. Ses éraillements, sa voix qui monte en flèche comme un cri : tout d’un coup, je suis submergé par un sentiment. Vous vous lavez et c’est ce qui reste dans les pores de votre peau. Incrusté. C’est fort. Peut-être moins extraordinaire, mais plus durable que l’effet Johnny Hallyday. En lisant sa biographie, j’ai eu très jeune une image précise de la drogue qui m’a protégé contre la tentation. De toute façon, je n’aurais pas pris le risque, j’ai eu toujours très peur de mourir. Sitôt né, je pense que j’ai eu peur que ça rate, que la sage-femme me fasse tomber…»
4/ FRANÇOISE DOLTO. «Tôt aussi, j’ai lu ses livres, je l’ai vue à la télé. Elle avait un côté très humain qui me parlait. Par exemple, elle disait préférable que les enfants aillent à l’école en marchant. En bus, ils étaient en situation sociale – c’est enrichissant, les échanges -, mais, seuls avec eux-mêmes, ils développaient leur imagination. Moi, j’ai fait le même trajet pendant quinze ans, du primaire au lycée. J’ai en mémoire chaque racine, les murets : tout est mélangé avec des pensées, des rêveries que j’avais…»
5/ UN AMI DE MES PARENTS. «Je ne saurais pas dire son nom, pas même le reconnaître. Je recopiais une BD de Lucky Luke. Il m’a dit : “Tu dessines bien. Mais tu ne devrais jamais partir d’un dessin ou d’une photo, tu devrais toujours partir de la réalité.” C’est le conseil le plus fort qu’on m’ait donné au niveau créatif d’art, de dessin.»
Ce qui charme le plus, chez Michel Gondry, c’est la simplicité avec laquelle il conjugue Hollywood – pour qui il prépare en ce moment «une sorte de comédie musicale» – et ses petites animations bidouillées en chemise à carreaux, avec sa colle et ses ciseaux. Longuement, il m’a aussi parlé de Suzette Gondry, sa tante, institutrice dans les Cévennes, morte récemment, à 94 ans. Mais comment faire passer en quelques lignes l’affection infinie, la bonne intelligence, qui le liait à cette maîtresse femme à laquelle il a déjà consacré un documentaire (L’Epine dans le cœur, 2009) ? De Suzette, il sera aussi question dans Le Livre des solutions, son prochain film, le premier en France depuis huit ans. Avec Pierre Niney, qui rêvait de tourner avec lui depuis ses 15 ans… et apprend ses textes en marchant.
«Eternal Sunshine of the Spotless Mind» a reçu l’Oscar 2005 du meilleur scénario original (partagé avec Charlie Kaufman et Pierre Bismuth).
Sabine Euverte
Photographie principale : DR
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