Des gens que j’aime et admire, Dieu sait si j’en ai rencontré. C’est même l’activité à laquelle je consacre ma vie, et, depuis huit ans, cette rubrique. Avec des moments enchantés. Mais personne ne m’avait jusqu’ici épatée et ravie comme l’a fait Gad Elmaleh. J’étais allée voir Reste un peu, son film sur sa potentielle conversion du judaïsme au christianisme, au cinéma de quartier, sans savoir qu’il était là. On s’est retrouvés quelques jours après. Et plus j’étais sidérée par son érudition, sa réflexion religieuse et sa foi, plus j’adorais l’idée que ce soit lui, Coco, le roi de la bar-mitsvah, Chouchou le travesti, et la voix de Gru dans Moi, moche et méchant, qui vienne dépoussiérer les catholiques français, repositiver le lien judéo-chrétien. En commençant par :
1/ LE CARDINAL LUSTIGER. «Ma fascination est immense. C’est l’enfant de la Shoah qui devient un des cardinaux les plus emblématiques de l’histoire du christianisme français ! Un homme sans complexe qui voulait voir assumée cette culture catholique en France. Il a aussi fondé KTO, refondé le Collège des Bernardins, où je suis étudiant. Une conversion religieuse, c’est un séisme dans une famille, une communauté. Vous savez ce qu’il a dit, Lustiger ? Une journaliste télé est venue vers lui : “Alors, monsieur le cardinal, vous êtes juif ou pas ?” Il a répondu : “Je suis juif, mais ce n’est pas ma religion.” Les gens veulent se rassurer. J’ai vécu ça aussi, des deux côtés : “Alors ? T’es avec nous ou t’es pas avec nous ?” Mais ce n’est pas un transfert de joueur ! Juif, c’est une identité. On parle, en plus, de quelque chose qui se construit.»
2/ CHARLES DE FOUCAULD. «On l’appelle le Frère universel, et l’idée qu’il a commencé en fêtard qui se tapait des nanas me donne énormément d’espoir ! J’aime bien aussi l’épisode du rabbin Mardochée qui l’aide, au Maroc, à se déguiser en juif à une époque où les chrétiens y risquent la mort. Ex-officier lui-même, sous l’apparence d’un Juif, il vit un peu le mépris des officiers français. Parallèlement, les prières des musulmans le touchent. C’est avec eux qu’il découvre la dévotion. Il a tout du héros d’un grand film épique. Les lieux, les personnages, la cause, l’intrigue : pour un scénariste, quel régal ! Bon… il finit mal. Avec un copain, David Djaïz, on a assisté à sa canonisation au Vatican. On a filmé ce qu’on a appelé le trip CDF, et on projette d’aller partout où il est allé, à Strasbourg, Nancy, Saumur, Nazareth, au Maroc, à Tamanrasset…
– Ça va vous prendre un peu de temps…
Peut-être une vie. C’est tellement fou, d’ailleurs, ce que je vis ! Il y a quelques années, en produisant à Lourdes un spectacle sur Bernadette Soubirous, j’ai reconnecté avec la Vierge Marie devant laquelle j’étais tombé en amour (comme disent les Québécois), enfant, à Casablanca. Depuis que j’ai déclaré cet amour dans mon film, tout le monde m’offre des statues d’elle, je ne sais plus où les mettre ! Je joue avec le feu, aussi. Dans le judaïsme, comme dans l’islam, les représentations sont interdites : tu ne te feras pas d’idoles… Et puis, on m’invite à inaugurer des chapelles, on me convie à des obsèques de gens que je ne connais pas. Même la charmante journaliste, ici, juste avant vous, elle était mormone…»
Une suite de Reste un peu se profile, voire une trilogie : il va continuer à ouvrir des portes, filmer ceux qui l’accueillent, ceux qui le contestent, aller à Jérusalem… De l’hébreu et de l’araméen, qu’il parle, de Gad, qui signifie «joie», on repart
sur les U2’s Charity, la période chrétienne de Bob Dylan, les frasques sexuelles de jeunesse de saint François d’Assise et saint Augustin… On hésite : continuer cette rubrique ou notre échange ? D’abord la rubrique. L’esprit, qui décidément le guide, y dessine une autre filiation trinitaire :
3/ JERRY SEINFELD. «Mon maître dans le one-man-show. On connaît l’excellent pitch de la série Seinfeld : “Let’s do a show about nothing”, mais sa pensée à lui, elle est vraiment radicale. Il me rappelle Pierre Soulages. Tellement riche et infini quand on s’y plonge. Il est dans un questionnement comportemental, sociologique, anthropologique permanent. Talmudique. Très intrigué par mon film, il n’en comprenait pas l’intention.»
4/ WOODY ALLEN. «Lui aussi vient du stand-up, de l’efficacité comique du cabaret. En même temps, c’est un philosophe, un penseur moderne. Juif aussi, certes, et qui m’inspire tellement ! Parfois, je regarde cinq minutes de ses films, comme si je piquais dans une boîte de chocolats. J’ai revu un extrait de Bananas, où il est crucifié. Il a toujours eu la tentation de jouer avec ces éléments-là… J’ai tenu un petit rôle dans une de ses comédies que j’adore, Midnight in Paris, et aussi dans sa série Crisis in Six Scenes. Quand je vais à New York, je le vois. Je le dis sans prétention. Je pense simplement que certains esprits sont faits pour se rencontrer. Donc on se rencontre. De la même manière, je sais que je vais rencontrer…»
5/ NANNI MORETTI. «Il a réalisé Habemus papam, un film très drôle avec Michel Piccoli qui ne veut pas être pape, et surtout Journal intime, où la frontière entre l’autobiographie et la fiction est tellement fine. J’aurais pu choisir aussi Alain Cavalier. Je l’ai appelé la veille de mon tournage. J’aimerais bien arriver un jour à son cinéma-vérité. Thérèse, c’est contemplatif et sublime.»
A peine rentré de Lisieux, il a rencontré le pape à Noël. Bientôt, il retournera à Lourdes, où il se sent bien. Mais, maintenant, il doit vraiment partir, parce que le père Barthélemy l’attend à l’église avec des scouts. Et tandis que le miracle Michel Petrucciani et l’idole Michael Jackson passent à la trappe, je réponds à peine à son au revoir, béate. Parce que j’entends une voix. Celle d’un de ses premiers sketchs. Vous savez comment Gad Elmaleh concluait jadis sa Chèvre de Monsieur Seguin, frère Gad ? «La morale de cette histoire, messieurs, mesdames, c’est que la vie ne fait pas le moine.»
Sabine Euverte
Photographie principale par Audrey Knafo
«Bernadette de Lourdes», du 21 au 24 septembre2023, au Dôme de Paris.
www.ledomedeparis.com
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