On l’appelle «le couturier des reines». A la tête de la maison Natan, Edouard Vermeulen, habille les têtes couronnées du Benelux depuis 38 ans. La maison ouvre à Paris un nouvel écrin pour offrir aux Parisiennes ses collections de prêt-à-porter. Rencontre avec un homme sémillant dans les ateliers de la maison de couture à Bruxelles.
On dit que vous êtes le dernier couturier belge…
Nous avons beaucoup de créateurs en Belgique, mais nous sommes la seule maison de couture. Pas la haute couture synonyme de très haut prix, mais les mêmes critères : unicité des pièces, travail réalisé à la main, nombre de personnes en atelier, nombre d’heures de travail…
Vous êtes autodidacte, votre carrière a commencé de façon étonnante. Juste après vos études d’architecte d’intérieur, vous louez le hall de la maison de couture Paul Natan pour présenter des objets de décoration…
Et un an plus tard, Jacqueline Leonard, qui avait repris la maison, m’annonçait son départ, et j’ai repris tout l’espace. Mais, très vite, des clients m’ont demandé où était passée la maison de couture. J’avais 25 ans, je me suis dit qu’il fallait faire deux ou trois vêtements : nous avons fait une mini- collection et organisé un défilé pour l’œuvre nationale des aveugles. La princesse Paola, qui deviendra notre reine avant la reine Mathilde, était présidente d’honneur. Tout le parterre du «monde qu’il faut» était là, quelques gens de la presse aussi… La princesse arrive, et je m’installe à ses côtés pour le défilé. Les retombées médiatiques seront immédiates… alors nous avons mis la déco de côté. J’ai retiré le mot «Paul» pour en faire un label qu’on peut prononcer facilement dans les trois langues du royaume.
Vous devenez le couturier préféré de la famille royale…
Nous sommes dans une monarchie, il y a donc beaucoup de cérémonies officielles. Nous connaissons les exigences du protocole. Notre maison a un vrai esprit de famille. J’ai une super équipe : Ola travaille ici depuis 24 ans, Tamina, 38 ans… lorsque les reines me disent qu’elles se sentent bien dans un vêtement, je leur réponds que c’est «parce que nous le faisons avec passion, respect et amour».
Vous lancez une ligne de prêt-à-porter au style élégant et délicatement décontracté…
Oui, des collections minimalistes, simples et féminines. Nous ne sommes pas une maison d’avant-garde. Il faut étonner, mais pas dans le chic, car je n’aime pas ce mot, mais dans la féminité. Ce qui est important, aujourd’hui, c’est d’embellir les femmes, qu’elles se sentent féminines. Nous n’avons qu’une cliente, qu’elle ait 30 ou 70 ans: c’est la même femme.
Comment travaillez-vous ?
Je fais des dessins, mais je trouve cela trop vague. La patronnière ne voit pas la fille longiligne que vous avez dessinée et qui n’existe pas. Vous avez vu nos poupées ? Je trouve qu’il faut travailler la matière, et c’est pour ça que j’ai ces petites poupées amusantes: on voit tout de suite les proportions. Toutes les pièces de couture sont réalisées à la main, d’après des patronages. La production du prêt-à-porter est en Belgique ou en Europe, car nous défendons notre savoir-faire européen.
Au fil des années, vous développez une élégance minimaliste, avec des lignes pures et des matières nobles…
Oui, et nous évoluons. Il y a beaucoup d’originalité dans les nouvelles matières. Nous essayons de travailler des matières recyclables, on fait du tissu vegan à base de cactus, des vêtements en raphia pour le projet Akra, qui soutient des communautés d’artisans à Madagascar. Le luxe doit être au service de matériaux plus simples et pas toujours dans des perles. Nous travaillons beaucoup les imprimés. Je n’aime pas les fioritures. J’aime que les choses soient linéaires. Cela donne un côté moderne et intemporel que notre clientèle aime bien parce que tout le monde n’a pas toujours envie de racheter, racheter, racheter…
Vos ateliers sont ouverts au public…
Lorsqu’on a ouvert notre second atelier place Brugmann, on a dit: «il sera visitable». Il a fallu canaliser les visites, car nous avions tellement de demandes ! Les gens aiment toujours voir les coulisses. Cela valorise aussi les gens qui travaillent ici.
Aujourd’hui, vous vous implantez à Paris avec une jolie boutique…
On est ravis ! J’ai toujours aimé ce croisement rue des Saints-Pères et rue de Grenelle. Cette boutique symétrique avec deux fenêtres et la porte au centre a été un coup de foudre. J’aime Paris, parce que j’y vois le centre de la mode et de l’élégance. Les couturiers des années 1950 m’ont toujours inspiré. Cela permettra aussi, peut-être, de faire évoluer le produit, parce que c’est important d’écouter les clientes. La Parisienne a une sophistication très féminine.
Allez-vous développer à Paris le projet Natan Collective, qui soutient des jeunes créateurs ?
Oui. C’est très important. Ce projet leur offre une bourse et une visibilité. C’est ce que la maison doit faire : aider. Tout est beaucoup plus difficile aujourd’hui. Ceux qui démarrent dans la profession doivent vraiment être à l’écoute et savoir qu’il faut tout savoir faire. Avant de devenir grand, il faut d’abord être tout petit. C’est important.
Vous insistez sur l’importance des valeurs de l’entreprise…
Vous avez vu le côté bon enfant de la maison ! Quand nous avons décidé de faire les masques, les ouvriers ont tout de suite suivi. Je pense que je suis apprécié dans la maison parce que je me soucie du travail de chacun. Il faut pouvoir donner pour recevoir, et je crois en la reconnaissance, la gratitude et la bienveillance. Pour bien faire, il faut aimer et aimer faire ce qu’on fait. Je dis toujours : si vous n’aimez pas le faire, vous le faites mal, parce que tout est contrainte.
NATAN
71 rue des Saints-Pères, Paris VIe
01 88 47 77 60
Propos recueillis par Anne Delalandre
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