On sait que Cézanne (1839-1906) fut, avant de s’engager sur sa propre voie, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du mouvement impressionniste, au sens où ce n’était pas tant la capture de l’instant qu’il poursuivait que la recherche d’une certaine permanence. Ce désir presque géométrique d’ordonner les objets de la peinture selon leur place peut se lire à la lumière de l’influence que les maîtres italiens du XVIe et du XVIIe siècle eurent sur lui (Tintoret, Rosa…). Telle est la perspective offerte par le Musée Marmottan Monet, qui ajoute à cet angle un second volet, prenant en compte cette fois la réception au XXe siècle de l’œuvre de Cézanne par les peintres de la Péninsule (Morandi, Sironi…). Les toiles de celui qui se réfugia dans sa Provence bien-aimée bénéficient ainsi de ce double regard, où, dans un bel effet de miroir, on passe de celui qui a rêvé l’Italie sans jamais y aller à ceux qui, de l’autre côté des Alpes, surent après lui recueillir les fruits de sa démarche. Un résultat convaincant, puisque, si l’on se tourne vers le passé, on voit comment l’Aixois prend chez Tintoret des leçons de construction. Il peint sa Femme étranglée (1875-1876) selon la dynamique des obliques qu’il a observée dans la composition de La Descente de croix (1580) du Vénitien. La proposition est encore plus stimulante si l’on se tourne du côté des modernes, car la Nature morte (1960) de Giorgio Morandi porte en quelque sorte à l’incandescence la rigoureuse ordonnance prônée par Paul Cézanne.
Bertrand Raison
Musée Marmottan Monet.
Cézanne et les maîtres. Rêve d’Italie.
2 rue Louis-Boilly, ParisVIII. Jusqu’au 3 janvier 2021.
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