A la direction du design de Peugeot, Gilles Vidal a signé trois voitures de l’année en dix ans : la 308, le SUV 3008 et la 2008. Un exploit rare que ce cador du style automobile va tenter de renouveler chez Renault, sa nouvelle maison depuis cet été. A l’heure de la voiture électrique, du véhicule autonome et de l’intelligence artificielle, rencontre avec un designer passionné et visionnaire qui annonce le grand retour du style et de nouvelles expériences révolutionnaires !
Quelle fut votre motivation pour passer de Peugeot à Renault, un transfert digne du mercato footballistique ?
Gilles Vidal. J’ai passé vingt-cinq ans dans le groupe PSA, dont treize ans chez Citroën puis onze chez Peugeot, dont dix en tant que directeur du design, et dix ans, c’est le temps qu’il faut pour renouveler une gamme automobile complète. Avec les équipes, nous avons créé une alchimie qui fonctionne auprès des clients et qui colle à l’époque. Dès lors, changer d’entreprise et de marque m’a semblé un challenge attractif et différent. Aller construire le «coup d’après» d’une entreprise qui a besoin de se renouveler, c’est passionnant. Avec le nouveau président Luca de Meo, Renault va bouger !
Quelle est aujourd’hui la place du style dans l’automobile ? Les designers parlent souvent de raconter une histoire, susciter une émotion…
G.V. Le design va bien au-delà de cela. Nos études indiquent clairement qu’aujourd’hui le critère de choix numéro un d’un véhicule est son design, avant le prix, les équipements, la fiabilité, la durabilité. Il faut, bien sûr, proposer un produit de qualité, mais en Europe, aux Etats-Unis et en Chine, le design est passé devant. Les voitures modernes sont parfaites, et il n’existe finalement plus d’avantages concurrentiels majeurs entre une voiture moins chère et une autre plus chère. Quand un client hésite, ce qui fait la différence, c’est l’esthétique, le coup de cœur instantané.
Alors que les voitures tendent toutes à se ressembler, ce serait enfin le grand retour du style ?
G.V. Oui. Je suis persuadé que les gens sont de plus en plus clients de choses osées, avec du caractère. Il y a encore quinze ans, acheter une voiture au look décalé était un problème : projection d’une image de soi et inquiétude de ne pas pouvoir revendre. Aujourd’hui, tout a changé. Certains constructeurs osent des choses, et ça se vend, preuve que les gens ne se préoccupent plus trop d’être dans une certaine normalité. Au contraire, ils veulent des choses excitantes dans leur vie. Cela répond peut-être à une époque inquiétante et stressante. Les clients se font plaisir, se lâchent un peu.
Mais pouvez-vous encore jouer sur l’esthétique extérieure avec toutes les normes et contraintes techniques qui vous sont imposées ?
G.V. Effectivement, mais, justement, le grand jeu des constructeurs consiste malgré tout à réussir à créer des identités esthétiques et stylistiques très différentes de la concurrence. Les designers automobiles doivent remettre de l’émotion, de l’attractivité, du rêve dans les objets. Le futur n’a pas vocation à être ennuyeux, avec des voitures sans saveur, robotisées. Il faut donc cultiver un futur intéressant et excitant, où il se passe des choses agréables à vivre. C’est la contre-attaque des créatifs qui vont inventer une grande variété de voitures en réaction à l’uniformité.
L’habitacle est aussi appelé à changer ?
G.V. Oui. Il faut concevoir des habitacles complètement différents, car, avec la voiture autonome, on va désormais faire autre chose dans sa voiture que la conduire. Le design, c’est aussi concevoir une expérience à bord, de l’interaction, une ambiance à l’intérieur du cockpit par les formes et les matériaux, ce qui passe par les écrans, l’ergonomie, les usages. L’expérience doit d’abord être utile et pratique, mais elle doit aussi avoir un peu d’âme, qu’il se passe quelque chose d’agréable. On peut, par exemple, ramener des objets de la maison, un plaid, un coussin, des livres en papier…
Pourquoi pas des salons roulants, des chambres roulantes ?
G.V. Tout à fait. On peut imaginer que vont enfin se croiser l’architecture et l’automobile, et c’est passionnant. Le design automobile a encore de beaux jours devant lui, car nous allons devoir inventer la nouvelle époque de l’automobile. Toutes les marques mondiales sont dans la même démarche ? Je pense que moins de la moitié des marques automobiles se posent les questions fondamentales sur l’objet automobile, le «coup d’après», les ruptures à opérer. Elles doivent se réveiller. Celles qui n’évolueront pas assez vite périront, je le crains. Nous sommes à la veille de la plus grande révolution que l’industrie automobile aura connue. On n’imagine pas les choses dingues qui vont arriver, comme la voiture autonome, l’intelligence artificielle, les matériaux autoréparants.
Quand commence le futur ?
G.V. Dans un an, nous présenterons un premier concept car, vitrine de design et de technologie, pour Renault. Il annoncera la tendance, mais il faudra attendre entre deux et trois ans pour la première voiture de production.
Propos recueillis par Philippe Latil
Photographie par Cyril Masson
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