Face à la Seine, à quelques pas de Notre-Dame, à l’étage des ateliers de la maison, nous rencontrons Guillaume Henry, tee-shirt blanc et bretelles rouges, qui s’est vu confier la mission de faire renaître la maison Patou.
Comment est née l’idée de relancer la maison Patou ?
Guillaume Henry. J’étais en période de «disponibilité», je venais de quitter Nina Ricci… Je profitais du moment, je me baladais, je déve- loppais ma vie sociale. Essayer de faire moins et mieux pour donner un sens, moins travailler le week-end pour être dans une qualité de vie professionnelle et personnelle. J’ai découvert Paris la semaine. Travailler dans la mode et ne pas voir comment les gens vivent est antinomique. La mode, c’est de la sociologie. Un jour, j’ai rendez-vous avec Sidney Toledano chez Carette, comme des acteurs de l’industrie de la mode qui se croisent. Je lui raconte que je viens de me pro- mener au cimetière de Passy, juste en face, et que j’ai décou- vert par hasard la tombe de Jean Patou. Il y a eu dix secondes de blanc, avant qu’il ne me dise : «On vient juste d’investir dans Jean Patou, est-ce que ça vous intéresse ?» Je crois lui avoir répondu : «C’est pour moi !» Il a fallu quand même que je monte un dossier, que je parle stratégie et marketing.
Ce projet vous a séduit immédiatement ?
G.H. Vous ne pouvez pas savoir ! J’adore ces maisons endormies mais pas abîmées. Il y a un travail d’archéologie, dans le respect. Toutes ces maisons ont en commun un vocabulaire de sympathie. Un vocabulaire souriant, enthousiasmant, optimiste, féminin aussi. Déjà, le nom Patou fait sourire. C’est doux, joyeux, rond, gourmand, c’est hyper positif ; en anglais, on dirait «on time». On est entourés d’apocalypse, et Patou, tout d’un coup, c’est doux. Patou, c’est les années 1920. On est en 2020 (rires), la boucle est bouclée ! J’ai beaucoup lu sur Jean patou et les révolutions stylistiques qu’il a initiées : le sportswear, le vestiaire joyeux du Paris mondain des années 1920, le vêtement de loisir le week-end et de fête la semaine… J’ai adoré l’homme : amoureux de vitesse, des femmes, grand mondain, qui organisait des fêtes splendides… et toujours cette notion de positi- vité. Je ne me suis jamais posé la question d’avoir une maison à mon nom avec mon patronyme sur une étiquette. On me reconnaît toujours comme le designer de la Parisienne, alors que je ne fais que ce que je sais faire et ce que j’aime. J’associe la mode française à la notion d’atelier, de savoir- faire et d’expertise. Vous avez vu, quand on arrive chez Patou, la première chose que vous traversez, ce sont les ateliers. Il y a une notion d’artisanat associée à l’excellence, et c’est cela que j’adore. Un vêtement est réussi quand il est «bête». Ça ne veut pas dire stupide, mais immédiat. Quand on ne sent pas l’effort. Patou n’existe plus depuis trente ans, mais je ne voulais pas d’une marque muséale. Les archives, on les a regardées… puis on les a oubliées ! Patou, pour moi, c’est la marque du sourire.
Comment ça s’écrit, en termes de style ?
G.H. Toutes ces matières éco-friendly sont ultra- positives. C’est une histoire de maintien, de tenue, de silhouette, de carrure, de taille de poches… où elles se trouvent. Je mets des poches partout, même dans les robes du soir. C’est complice, une poche. J’adore le geste féminin, j’aime qu’on se sente maladroite et qu’on mette ses mains dans les poches. J’adore l’attitude. Pendant les essayages, je cherche une attitude, un caractère.
Vous avez dit vouloir créer «des vêtements futiles avec de la surface»… C’est-à-dire ?
Je l’ai emprunté à Karl Lagerfeld. Il disait que «la mode, c’est superficiel, avec beaucoup de superficie». J’adore ça ! On n’en a pas besoin, mais c’est indispensable. Comme un bel objet chez soi. C’est inexplicablement nécessaire. Un supplément d’âme, quoi !
Après ces années de streetwear et no gender, vous arrivez avec une mode déli- cate, sophistiquée, douce, très féminine.
C’est un référent à Patou, qui était l’amoureux des femmes. Sa vie privée le prouve. Dans ses plus proches collabo- ratrices, il y avait sa sœur, et c’était impor- tant pour lui d’habiller sa sœur, sa muse et collaboratrice, pas une créature fan- tasmée. J’aime cette notion du quoti- dien. La mode se regarde beau couple nombril, elle a un peu oublié qu’il s’agit d’une industrie du produit. Un jour, une amie m’a dit : «Guillaume, je n’ai plus rien à me mettre.» Ce qui est fou, car il n’y a jamais eu une telle offre. «Oui, mais elle ne me parle pas, cette offre», m’a-t-elle répondu. Je suis entourée de filles qui n’ont pas quatre heures pour se préparer, ont besoin d’un vêtement qui traverse la journée. Je ne fais pas du vêtement de jour ou du soir, il y a tou- jours un peu de jour dans le soir et de soir dans le jour. Le «riche-pauvre» est quelque chose que j’ai toujours
adoré. Si je travaille le jean, il sera porté avec des talons… C’est toujours une façon d’appréhender les choses d’une façon complice et affective.
Pourtant, certaines de vos pièces sont presque de la couture…
Oui dans le développement, mais pas dans la façon. Car j’adore la «manufacturisation». Si ce n’est pas duplicable, quel intérêt ? Tout ce qui est montré est produit. Il n’y a pas de triche. Patou est historiquement une maison de couture, donc on ne voulait pas contourner cette idée, mais, aujour- d’hui, c’est du prêt-à-porter, et en plus abordable. Nous avons travaillé l’idée d’une fabrication et d’un prix juste. Notre robe ne doit pas être un fan- tasme. Le vêtement ne doit pas être impossible. Pas démodable. Donc moins narratif.
Propos recueillis par Anne Delalandre.
Photographie portrait Guillaume Henry : Damien Blottière.