A l’ouverture de Beaubourg, subjugué par l’exposition Duchamp, un garçon de 13 ans, venu de la Loire avec sa mère, songe : «J’aimerais tellement être là !» Depuis, il a eu sa rétrospective à Beaubourg. Sa vie, c’est comme si tous ses souhaits, à force de travail, se réalisaient. Au touriste émerveillé par cette bouche de métro couronnée de perles de verre, par cette rose noire au Louvre, cette tiare aérienne au Petit Palais, puis ces colliers géants dansant dans les fontaines de Versailles, le guide ne répète qu’un seul nom : Jean-Michel Othoniel. Ubique, juvénile et, depuis peu, immortel, Jean-Michel Othoniel insuffle au patrimoine un charme nouveau, et le paradis coloré de ses amours enfantines.
1. FERDINAND CHEVAL. «Longtemps, j’ai passé toutes mes vacances à une vingtaine de kilomètres de Hauterives. En ce début des années 1970, les propositions culturelles étaient rares, et ma mère, institutrice, était toujours à l’affût de choses bizarres à faire, à voir, pour occuper ses enfants et les amis de ses enfants. Le Palais du facteur Cheval était un pèlerinage annuel. On y était même allés à pied, avec un groupe d’enfants, d’autres adultes. J’ai ce souvenir d’été merveilleux : marcher le long des routes, les mains frôlant les herbes… Ensuite, ma vision du Facteur a grandi avec moi. Etudiant, j’ai pris conscience de ces singuliers de l’art célébrés par les surréalistes et Malraux. J’ai senti l’importance d’affirmer ma différence. Aujourd’hui, le Palais fête ses 110 ans. Il en existe des photos de Dora Maar, Lee Miller, Robert Doisneau… mais c’est la première fois qu’un artiste est invité à intervenir sur le monument. La complexité, c’est qu’il n’y avait rien à faire. L’idée n’était pas d’en rajouter, d’orner cette folie, parfaite en soi. J’ai essayé d’entrer dans la pensée du Facteur. J’ai lu tout son courrier. Ce palais, qui au départ devait être sa tombe, il désirait en faire une fontaine de vie. Mais l’hydraulique, ça ne s’improvise pas. Une lettre de sa bonne a été déclencheuse : elle écrivait s’épuiser à jeter des seaux d’eau, cachée en haut du château, pour émerveiller – pendant 2 secondes – les visiteurs… Comme je l’avais appris à Versailles, j’ai créé des fontaines. C’est ainsi que je réalise le rêve du Facteur, et en même temps le mien.»
2. CATHERINE DENEUVE. «Pour moi, Catherine Deneuve, c’est d’abord Peau d’âne. Le film est réalisé en 1968. A un moment révolutionnaire et politisé, elle et Jacques Demy arrivent avec un conte merveilleux. Peau d’âne reste une des grandes images des années 1970, pour le délire halluciné des costumes, des couleurs, et surtout cette exaltation de la liberté, mais montrée de façon poétique et communiquée aux enfants. C’est le premier film que j’ai vu. On est partis avec l’école en bus, au cinéma Le France de Saint-Etienne. Je sens encore le dossier de mon fauteuil. Bien des années plus tard, j’ai eu la joie formidable de rencontrer Catherine Deneuve en vrai. J’aime beaucoup son regard sur l’art. Elle adore comment les choses se fabriquent et avait fait une très belle série pour France 5 où elle allait à la rencontre d’artisans. Notre autre passion commune, ce sont les jardins. On se croise parfois dans des foires aux plantes… Marraine d’un projet de restauration du jardin de Méréville, peuplé, au XVIIIe siècle, de pavillons chinois, de grottes mystérieuses, elle s’est étonnée de la disparition d’un pont aux boules d’or dont il n’existait plus que quelques représentations en peinture. Elle a proposé que je le fasse renaître. Ce projet avait tout pour me plaire : cette idée de réveiller le patrimoine… et celle d’accomplir un vœu de Catherine Deneuve.»
3. BARBARA CHASE-RIBOUD. «Je l’ai découverte il y a peu grâce à Catherine Grenier, la directrice de la Fondation Giacometti. Franco-américaine, proche des Black Panthers, poétesse, écrivaine : sa vie est un roman. J’ai été très ému de lui remettre, au nom de l’Académie des beaux-arts, notre grand prix de sculpture, plus doté que le prix impérial et, pour la première fois, donné à une femme. C’est une reconnaissance tardive et un jeune amour pour une vieille dame.»
4. HUGO MARCHAND. «Encore une récente rencontre amicale. Je suis allé le voir à l’Opéra dans Body and Soul, ce spectacle incroyable où ils sont tous habillés en latex. C’est un très grand danseur, dans tous les sens du terme. Il a un vrai charisme. Je rêverais qu’il danse dans mon bosquet, là où Louis XIV a dansé à Versailles. Il ferait un Roi-Soleil extraordinaire. J’essaie de le convaincre, sur la pointe des pieds…»
5. JOHAN CRETEN. «C’est un très grand sculpteur que je connais depuis plus de trente ans. Un complice essentiel. On s’est construits ensemble avec des univers complémentaires, Johan étant plus dans la matière, la création physique. Il a été un des premiers à sculpter la terre, la céramique. Flamand, il a ce baroque qu’on retrouve chez Ensor. La Piscine de Roubaix présente en ce moment un panorama exceptionnel de sa ménagerie fantasmatique, hybride et monumentale. Une vie d’artiste a ses grands rendez-vous. Cette exposition, accompagnée d’un ouvrage monographique chez Gallimard, en est un pour lui. J’avais envie de célébrer ce moment et son travail.»
Sabine Euverte
Photographie principale : Palais idéal du facteur Cheval / Frédéric Jouhanin
A l’occasion des 110 ans de la construction du Palais idéal du facteur Cheval, sculptures, vitraux et fontaines habillent le château. Des œuvres pensées par Jean-Michel Othoniel en hommage à Ferdinand Cheval, constructeur du palais, qui rêvait de le transformer en immense fontaine.
«Le Rêve de l’eau», au Palais idéal du facteur Cheval, à Hauterives (Drôme), jusqu’au 6 novembre 2022.
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