Après trois derniers films un peu trop convenus, X-Men : Dark Phoenix, It Chapter Two et Ava, Jessica Chastain retrouve les rôles complexes et passionnés qui la caractérisent et enchaîne les projets avec un appétit spectaculaire. A Venise, cette beauté incendiaire présentait le remake de la meilleure série télé jamais tournée, Scènes de la vie conjugale, aux côtés d’Oscar Isaac. A Toronto, c’était The Forgiven, avec Ralph Fiennes, clash des cultures sur fond de désert marocain. A Rome, Dans les yeux de Tammy Faye, avec Andrew Garfield, film pour lequel, méconnaissable en télé-évangéliste trop fardée, celle qui a imposé le féminisme à Hollywood pourrait enfin décrocher l’Oscar. Et l’an prochain, ce sera The 355, film d’espionnage au féminin avec Lupita Nyong’o, Diane Kruger, Penélope Cruz et Fan Bingbing. A 44 ans, cette ancienne danseuse, actrice sensible, productrice à succès, concernée par les problèmes environnementaux, militante vegan, féministe engagée, épouse et mère très discrète, nous épate toujours !
Vous produisez Dans les yeux de Tammy Faye : pourquoi teniez-vous autant à jouer cette célèbre télé-évangéliste américaine ?
Jessica Chastain. J’ai grandi en Californie et je voyais souvent Tammy Faye à la télévision. C’était vraiment un personnage haut en couleur. Un intérêt encore accentué par les scandales financiers et sexuels dans lesquels son mari l’avait impliquée malgré elle, ce qui a fait s’écrouler leur empire. Il y a dix ans pile, alors que je faisais la promotion de Zero Dark Thirty, j’ai vu un documentaire sur elle qui m’a révélé une autre facette d’elle. Oui, cette diva religieuse était trop maquillée et follement dépensière, mais ce n’était pas ce monstre de foire que les médias ont imposé à l’inconscient collectif américain.
Certes, elle a représenté la montée de la droite religieuse dans la vie politique américaine, mais la dame de cœur m’intéressait, celle qui fut notamment la première à prendre les gays sous son aile, au milieu des années sida. J’ai tout de suite acheté les droits, mais il m’a fallu dix ans pour monter le projet. Avec ce film, le réalisateur Michael Showalter et moi avons voulu montrer une histoire authentique, basée sur l’amour et la foi.
Il y a dix ans, vous étiez au début de votre fulgurante ascension à Hollywood.
J’ai voulu les droits de ce documentaire avant même d’avoir une maison de production. C’était au moment de The Tree
of Life, de Terrence Malick. Ensuite, tout s’est enchaîné pour moi dans cet incroyable tourbillon productif. Quelle merveilleuse décennie j’ai connue ! J’ai vraiment beaucoup de chance. J’avoue qu’à certains moments le statut de star m’a effrayée. Et, dans ces cas-là, je me suis toujours recentrée sur le travail, la qualité des projets, et surtout sur la protection de ma vie privée.
Tammy Faye est le rôle le plus étonnant de votre parcours. Cela vous manquait, une telle métamorphose à l’écran ?
Je choisis toujours mes rôles de façon à provoquer un peu, à faire bouger les choses, notamment en matière de genres et de classes. Je pense avoir joué beaucoup de femmes différentes qui montrent aux jeunes filles qu’il n’y a pas de barrières professionnelles, ou, s’il y en a, qu’il faut les briser. Mais j’ai étudié à la Juilliard School, ma formation d’actrice de caractère m’impose de transformer mon physique. En revanche, je pense que les très longues heures de maquillage, la réduction de ma bouche, le comblement de ma fossette sur le menton, l’élargissement de mes joues… ont bousillé ma peau à jamais ! Finalement, j’aurais préféré qu’on ait seulement à avoir, comme elle, la main lourde sur le mascara (Rires).
On vient aussi de vous voir dans la série Scènes de la vie conjugale, de Hagai Levi, aux côtés d’Oscar Isaac, tiré du chef-d’œuvre d’Ingmar Bergman réalisé en 1972.
Hagai Levi, à qui on doit la série d’origine In Treatment, mais aussi celle de The Affair, s’est lancé dans l’adaptation de Scènes de la vie conjugale pour répondre à une demande de Daniel Bergman, le fils d’Ingmar. L’original était une série en six épisodes, diffusée par la télévision suédoise – ce qui, dit-on, a été responsable de l’explosion du nombre de divorces ! –, avant d’être un film.
En quoi le couple a changé ?
Oscar Isaac, qui est un ami de toujours, avec qui j’étais au lycée, et moi avons accepté non sans appréhension de répondre à cette question… au point de tout mêler : nos propres vies et celles des personnages, pour créer un degré d’intimité tel que nous en serions nous-mêmes gênés. Finalement, les problèmes de couple n’ont pas tellement changé. J’ai toujours adoré regarder le mariage à travers le prisme des films. Le cinéma aide à comprendre les relations amoureuses.
Vous aviez reçu l’aval de Liv Ullmann pour son rôle ?
Je connais Liv, qui m’a mise en scène dans Miss Julie, j’ai lu ses livres, j’ai lu le livre de la fille qu’elle a eue avec Ingmar. La performance de Liv était parfaite, je lui ai tout de suite fait comprendre que je n’y toucherais pas. Ce qui m’a donné l’audace de revisiter cette histoire est que nous avons échangé les rôles : c’est mon personnage qui possède cette fois le plus d’égoïsme, d’insécurité et de complexités liés au désir sexuel, à la maternité… Je joue en quelque sorte le rôle du mari.
Tombez-vous amoureuse de tous vos personnages ?
Oui, c’est la seule façon de savoir que je fais du bon boulot. Si je trouve “le fil de la connexion” avec mon personnage, même si c’est une tueuse ou quelqu’un qui commet des actes absolument répréhensibles, et que je tire ce fil jusqu’au bout, alors le processus d’identification me submerge.
Vous enchaînez des projets très éclectiques… Dans les films qui vont prochainement sortir, soulignons
The Forgiven, de John Michael McDonagh, avec Ralph Fiennes et Said Taghmaoui.
Il y a un an encore, le cinéma était à l’arrêt. Alors, vive la reprise ! The Forgiven raconte les répercussions d’un accident sur les vies d’un couple anglais, avec de leurs amis riches et des voisins marocains, tous présents à une fête se déroulant dans une luxueuse villa en plein désert. C’est un film sur l’ignorance de l’autre et la façon de réparer nos préjugés stupides, c’est un film qui nous tend un miroir dans lequel nous n’aimons pas trop nous regarder.
Féministe de la première heure, vous continuez à faire bouger les choses à Hollywood…
C’est ma mission première, à travers mes choix de projets au sein de Freckle Productions (les productions «Taches de rousseurs»). Je viens de produire The 355, de Simon Kinberg, avec qui j’avais travaillé sur la franchise des X-Men, avec une sacrée bande d’actrices, de Lupita à Penélope… pour The 355, j’ai imposé qu’une portion du film nous appartienne à chacune, afin que tout le monde soit payé à parts égales. Et tout le monde a dit oui. Il faut innover, changer la donne. On vous dit que ce n’est pas possible ? Raison de plus pour le faire ! Il n’est plus tolérable que les femmes soient lésées dans la société. Ne l’admettez pas, jamais ! Il n’y a aucune raison. Battez-vous pour l’égalité !
Propos recueillis par Juliette Michaud
Photographie par Matthew Brookes/ Trunk Archive. Bijoux Tiffany.
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