Il a été la plus grosse star d’Hollywood dans les années 1990, la première à être payée 20 millions de dollars par film pour ses pitreries disjonctées dans des comédies devenues culte comme The Mask ou Dumb et Dumber.
Monté trop haut, puis frappé par un drame, Jim Carrey a sombré dans les dépressions. Il y a deux ans, il faisait son come-back avec Kidding, de Michel Gondry, le réalisateur d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind, une série merveilleusement douce-amère où il joue l’animateur en crise d’une émission pour enfants. Avec la deuxième saison de Kidding, diffusée sur Canal+ Séries, mais aussi un livre très personnel à sortir en mai et ses peintures chocs anti-Trump, l’acteur est plus habité que jamais.
Après vous avoir vu en méchant déjanté dans Sonic, le film, de Jeff Fowler, vous revoilà pour Michel Gondry dans le rôle de Mr. Pickles, cet idéaliste confronté aux drames de la vie. Jim Carrey, le clown drôle et le clown triste…
Jim Carrey. L’un est un divertissement pour gamins hyperactifs, l’autre une série adulte pour grands enfants. (Rires) Je n’ai pas la nostalgie de mes rôles déjantés, car je ne me retourne jamais sur le passé. Mais, si on me donne l’occasion de m’éclater comme dans Sonic, de libérer les mustangs qui se trouvent là-haut (il cogne sur sa tête), je saute dessus ! (Rires) Si les humains cessent de rire d’eux-mêmes, c’est foutu. Mais le rire ne va pas sans des grincements de dents. Avec Michel Gondry, j’ai réalisé à quel point j’étais capable d’affronter mon propre spleen et la dureté de la condition humaine, tout ce par quoi on passe : les séparations, les deuils, la vieillesse… Michel Gondry a su puiser dans ma tristesse. A l’époque d’Eternal Sunshine of a Spotless Mind (2004), je touchais le fond de la déprime, et il me disait : «Non, ne guéris pas, c’est magnifique.» (Rires)
Parlez-nous de Kidding…
J.C. Cette saison 2 parle de l’honnêteté vis-à-vis de soi-même, et je suis fou de gratitude de jouer le si touchant Mr. Pickles, qui pensait pouvoir continuer à voir la vie en rose, jusqu’à la mort de son fils… Avec Michel et Dave Holstein, le créateur de la série, un ex-scénariste de la série Weeds qui est un génie fou, nous essayons de repousser les limites de ce qu’on voit à la télévision. Nous sommes en osmose. Lorsque je travaille sur un projet comme Kidding, j’ai le même sentiment que lorsque je peins, je suis dans un état de conscience totale, complet, «fondu» dans l’instant présent, ce qui est pour moi la définition de la créativité et du bien-être. Etre présent est un souci de tous les instants, une pratique, et cela peut être difficile suivant ce que vous faites, mais c’est la clé.
Il y a deux ans, vous tourniez dans votre studio de peinture new-yorkais un court-métrage émouvant où vous expliquez votre guérison d’une dépression par la peinture. Dans ce film, vous dites : «Je ne sais pas ce que la peinture m’apprend, je sais simplement qu’elle me libère. Elle me libère du futur, elle me libère du passé, elle me libère des regrets, elle me libère des problèmes.»
J.C. Quand j’étais gamin, je passais la moitié de ma vie à faire rire les gens dans le salon, l’autre moitié dans ma chambre à écrire des poèmes et dessiner. Il y a six ans, j’ai renoué avec le dessin et la peinture, j’ai pris des cours, loué plusieurs studios, dont un au rez-de-chaussée de chez Julian Schnabel, mais il trouvait ça un peu bordélique et j’ai dû déménager deux pâtés de maisons plus loin. (Rires) Par la peinture, par cette action immédiate de montrer la société et tout ce qu’il y a en nous, tout s’est illuminé.
On a un petit aperçu de votre folie douce dans un autre documentaire, Jim & Andy, le making-of de Man of the Moon de Milos Forman, où vous étiez resté dans la peau du comique Andy Kaufman…
J.C. Au point de devenir barge ? (Rires) Quand je fais quelque chose, je veux porter les choses à leur niveau maximum. J’étais peut-être allé un peu loin. (Rires) La peinture m’a aussi appris à me calmer.
Comment vivez-vous la célébrité aujourd’hui ?
J.C. Lorsque la célébrité vous tombe dessus, c’est le chaos, vous n’avez aucune idée de ce qui vous arrive. Je sors au mois de mai un livre qui s’intitule Memoirs and Misinformation, où j’en dis beaucoup sur moi. Je taille en pièce la célébrité et je ne m’épargne pas. Je suis tellement plus heureux aujourd’hui. J’apprécie tout. Dès que je me lève le matin, je chausse mes rollers ou j’enfourche mon vélo électrique, et je file comme une fusée dans les rues de Beverly Hills, où je suis toujours informé par des copains clochards que la fin du monde aura lieu en 2026… avant de retourner me préparer mon petit-déjeuner. Autrefois, même cuisiner mon petit-déjeuner, je déléguais ça à d’autres. Je passais à côté de tout ce qu’il y a de mieux dans la vie.
Vous souvenez-vous de vos premières imitations ?
J.C. Enfant, j’imitais Dick Van Dyke et Jerry Lewis. J’avais un sixième sens pour savoir quand un film de Jerry Lewis était à la télévision. Et, rêvant de passer dans l’émission The Carol Burnett Show, j’ai écrit à Carol Burnett pour lui dire que j’étais le maître de l’imitation. On m’a dit non par courrier, mais la lettre de rejet disait «bonne chance». C’était suffisant pour moi, j’ai couru partout avec cette lettre à la main, et je suis parti pour Hollywood. Dans la nouvelle saison de Kidding, il y a des guest stars qui sont là simplement parce qu’elles nous ont dit aimer la série. Comme Ariana Grande, mais aussi… Dick Van Dyke, mon héros, mon inspiration. En visionnant les scènes de Dick Van Dyke dans Kidding, j’ai pleuré.
Ce don d’imitation vous venait naturellement ?
J.C. Je tiens ça de mon père. Mon père possédait cette force de vie qu’il resservait aux gens comme du gâteau. Il ne racontait pas une histoire, il devenait tous les personnages. Je le contemplais ébloui, et les gens qui venaient nous voir, quand on avait une maison, repartaient souvent en s’étant fait pipi dessus tellement ils avaient ri. On lui disait qu’il avait raté sa vocation. Eh bien, j’ai réalisé sa vocation pour lui.
Votre mère avait aussi cette fibre comique ?
J.C. Ma mère, avant de tomber malade, travaillait comme concierge avec mon père, qui était aussi garde de sécurité. En fait, toute la famille bossait comme concierge. Moi, je récurais les toilettes, et, quand vous avez 15 ans, on vous fait de sales blagues. Le film Parasite m’a ému, parce que j’ai eu l’impression qu’on racontait l’histoire de ma famille. Puis, mon père, qui aurait voulu être musicien avant de se retrouver comptable, puis concierge, a perdu son travail et sa maison, et nous avons vécu dans sa voiture. C’est lui qui m’amenait à toutes les auditions dans notre bagnole-maison, c’est grâce à ses efforts que je me suis retrouvé dans le show comique In living Colors avec Jamie Foxx. Ma mère, elle, souffrait beaucoup, et mon père et moi trouvions constamment des trucs pour essayer de l’amuser. Je pouvais la réveiller en pleine nuit en caleçon en prenant l’apparence d’une mante religieuse qui l’attaquait. Elle souriait malgré ses douleurs, elle m’ordonnait de sortir en riant. Son rire m’a toujours encouragé. Et c’est elle qui m’a donné le goût du dessin. Nos murs étaient tapissés de ses pastels.
Depuis deux ans, vos peintures sont devenues des actes militants anti-Trump, des cartoons d’une férocité inouïe…
J.C. Pardon, de qui parlez-vous ? Ce nom m’échappe, je l’ai déjà entendu, c’est familier, mais je ne sais pas de qui vous parlez. Est-ce une personne importante, digne d’intérêt ? Non, n’est-ce pas ? (Rires) La pire chose que vous puissiez faire avec les narcissiques, c’est de parler d’eux. Tout ce que j’ai à dire est dans mes peintures, qui ne peuvent être que grotesques vu la situation. Pour le reste, j’ai décidé de célébrer ce qui est bon dans la vie et d’aller de l’avant. Mon vote en novembre parlera pour moi.
Propos recueillis par Juliette Michaud
Photographies Austin Hargrave
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