« J’ai besoin d’explorer la nature humaine »
Julianne Moore, Julie Ann (c’est son vrai prénom, tous ses proches l’appellent «Julie»), a toujours tout fait à sa façon et à son rythme. A la fois effacée et volcanique, à la fois star et en marge du système, la plus new-yorkaise des actrices hollywoodiennes nous a éblouis cette année dans deux remakes: Gloria Bell, sorti au printemps, remake par le cinéaste chilien Sebastián Lelio de son propre film Gloria. Et After the Wedding, que l’on découvrira prochainement sur nos écrans, remake américain du film éponyme de la danoise Susanne Bier, qui marque la quatrième collaboration de Julianne Moore avec son mari réalisateur, Bart Freundlich, mais aussi sa première expérience de productrice. Rencontre.
Dans After the Wedding, vous incarnez une femme d’affaires richissime de Manhattan qui, à la veille du mariage de sa fille, veut donner une grosse somme d’argent à un orphelinat en Inde. Elle fait venir la directrice (jouée par Michelle Williams), mais tout va exploser: secrets et trahisons vont surgir, le combat entre riches et pauvres va s’intensifier… Qu’est-ce qui vous parlait autant dans ce film, pour vouloir l’adapter avec votre mari?
Julianne Moore. L’idée de faire un remake de ce film qui avait été nommé à l’Oscar en 2007 et qui faisait partie de la fameuse «école du dogme» créée par Lars von Trier a été amenée à Bart. Nous avions regardé ensemble l’original sur notre canapé devant la télévision, et j’avais trouvé l’un des deux personnages masculins, joué par l’acteur Rolf Lassgård – l’autre était joué par Mads Mikkelsen –, tellement fort, opaque, que j’ai déclaré à Bart que j’aimerais trouver un tel rôle. Il a alors eu l’idée de réécrire les deux rôles principaux pour des femmes, et j’ai bien sûr voulu en être. C’est un mélodrame brillant, avec de multiples rebondissements, qui rappelle que la vie ne doit pas être planifiée, mais vécue. Et je trouve formidable l’alliance improbable de ces deux femmes que tout oppose, Michelle Williams, qui est une amie de longue date, tout comme Billy Crudup, qui joue mon mari dans le film. Nous sommes toutes et tous connectés dans ce bas monde, nantis et démunis, hommes et femmes, voilà ce que le film démontre.
C’est vous, en revanche, qui aviez contacté le cinéaste chilien Sebastián Lelio après avoir vu son Gloria, le portrait d’une
quinquagénaire éprise de liberté…
J.M. Je trouvais la performance de Paulina Garcia (la comédienne chilienne qui joue Gloria) énorme, magistrale. Cela m’a donné envie de travailler avec Sebastián, et, comme on a le même manager, on a pu organiser un rendez-vous. On s’est vus à Paris et on a longuement discuté du film. A un moment, il m’a dit: «Je sais que vous ne voulez pas faire de remake.» Alors, je lui ai répondu: «Si c’est vous qui le mettez en scène, je le ferai!»
Aller chercher des histoires qui vous touchent dans deux films étrangers, est-ce seulement une coïncidence?
J.M. Le timing est pure coïncidence. En même temps, qu’il faille aller chercher des histoires profondes plus basées sur la langue, sur la nuance, à l’extérieur des Etats-Unis, n’est pas un hasard. A Hollywood, les studios veulent uniquement créer des produits qui puissent divertir le monde entier, à coups de gros effets visuels. J’ai fait quelques-uns de ces blockbusters, comme la série des Hunger Games, ou la franchise des Kingsman, la parodie des James Bond, et je me suis bien amusée… en plus en ralliant enfin mes enfants à ma cause (Rires). Mais j’ai besoin d’explorer la nature humaine. Cela a toujours été mon ambition. Cela vient peut-être aussi du fait que je suis moi-même une étrangère dans l’âme, et qu’avec l’âge mes racines, écossaises par ma mère, allemandes et galloises par mon père, prennent le dessus.
Tourner sous la direction de son époux doit être très fort…
J.M. Oui. D’autant que, sur After the Wedding, nous avions engagé notre fille Liv, qui a 17 ans, comme assistante de production: donc ce film était vraiment une affaire de famille! J’ai rencontré Bart sur le tournage de notre premier film ensemble, TheMyth of Fingerprints. L’auteur en lui parlait à l’actrice que je suis. Au départ, l’influence de Robert Altman dans nos vies nous avait rapprochés: moi parce qu’Altman m’avait révélée à moi-même et aux autres dans Short Cuts(1993); Bart parce que c’était son maître à penser… Bon, Bart est aussi très beau… je me paie aussi le chic d’avoir un époux de dix ans plus jeune que moi… je l’avoue, son physique me parlait aussi… pas juste son intelligence et sa grande générosité d’esprit sur un plateau. (Rires) Mais nous avons surtout un lien artistique qui vaut la peine d’être exploré. Parce que j’ai de plus en plus envie de trouver des films qui me correspondent, et que Bart me connaît bien, et parce que Hollywood, un jour,
cessera de me dérouler le tapis rouge… donc nous allons être
amenés à retravailler ensemble.
Les films les plus marquants de votre carrière?
J.M. Ceux que j’ai tournés avec Todd Haynes et Paul Thomas Anderson. Maps of the Stars, de David Cronenberg(qui lui valut le prix d’interprétation à Cannes), Still Alice, où je devais affronter la maladie d’Alzheimer (qui lui a valu un Oscar). Mais, quand je rencontre des fans, ils se réfèrent souvent au Big Lebowskide mes amis les frères Coen.
Vous venez d’incarner la féministe Gloria Steinem à l’écran pour la grande réalisatrice Julie Taymor. Un rôle important ?
J.M. Enormément. Le film, TheGlorias, est adapté de l’autobiographie de Gloria Steinem, qui est encore aujourd’hui une vraie meneuse, mais douce, pleine de compassion, plus que jamais nécessaire, à l’ère du mouvement #MeeToo. J’ai aussi récemment tourné un bon thriller de Joe Wright, avec Gary Oldman et Amy Adams, et une série en huit épisodes pour Apple, Lisey’s Story, réalisée par J.J. Abrams et adaptée de Stephen King. Je n’avais jamais rien fait d’aussi long, et c’était une bonne expérience.
De qui êtes-vous la plus proche, l’actrice impliquée ou la muse des tapis rouges et des couturiers?
J.M. Je ne suis aucune de ces femmes! Quand je ne joue pas un rôle ou ne parade pas sur un tapis rouge, car la mode est aussi un jeu, je redeviens moi. Juste moi. (Rires)
Propos recueillis par Juliette Michaud
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