Dans la minisérie en six épisodes The Regime, une bombe d’humour noir écrite par le scénariste de Succession, réalisée par le légendaire Stephen Frears (The Queen) et par Jessica Hobbs (The Crown), Kate Winslet incarne Elena Vernham, dirigeante au bord de la crise de nerfs d’une contrée imaginaire d’Europe centrale.
Une autocrate dissimulant une hallucinante palette de tares que la plus britannique des stars hollywoodiennes, connue pour s’immerger à fond dans chaque rôle, explore en transe ! Rappelons que sur le tournage d’Avatar : La Voie de l’eau, cette fan de la nage en eau froide avait réussi à retenir son souffle sous l’eau plus de sept minutes, exploit rarement égalé ! C’est à New York, costume masculin et lunettes à grosse monture noire sur blondeur glamour, entrelacs de pendentifs au cou, que l’exceptionnelle, l’imprévisible, l’indispensable Kate nous a parlé avec ferveur de son nouveau défi d’actrice.
Après les formidables Mildred Pierce et Mare of East-town, vous vous appropriez à nouveau royalement le format de la minisérie avec cette satire politique.
KATE WINSLET. Je n’avais jamais lu un tel scénario, avec un ton aussi absurde. Je n’avais jamais rencontré un personnage aussi “barré” qu’Elena, et c’est peut-être le rôle le plus difficile qu’il m’ait été donné de jouer. Bien que rêvant évidemment de travailler avec lui, il m’a fallu trouver le courage de dire à Stephen Frears que, s’il voulait que le public croie au petit pays fictif où se déroule l’action, il lui fallait choisir quelqu’un d’autre que moi. Au début, la série s’appelait The Palace. Même si j’utilise rarement mon accent anglais dans les films, les gens connaissent mon parler. Alors, associer mon nom à une série intitulée The Palace, après toutes les séries récentes sur la monarchie britannique… j’ai pensé que le public allait passer les deux premiers épisodes à se demander où se situait l’intrigue et que ma présence allait tout foutre en l’air. Je savais que, pour être à la hauteur de ce petit bijou, il fallait que j’invente un phrasé et des mimiques sorties de nulle part, que j’invente l’un des personnages les plus baroques et complexes de ma carrière, et franchement cela paraissait assez “cassegueule”. La liberté de pouvoir tout inventer est un saut dans le vide. Le processus a été ardu, il a fallu que je vive longtemps toute seule dans mon cerveau avec l’angoisse de mal faire avant d’avoir le cran de dire mes répliques à voix haute. Ce rôle était terrifiant !
La peur, les acteurs n’en parlent pas souvent.
Les acteurs ont tous peur mais n’en parlent pas entre eux, sauf en se prenant parfois à part dans un coin en murmurant des jurons (rires).
Comment présenter la chancelière Elena?
Elena est intrépide et pourtant terrifiée par le monde, gangrénée par le manque de confiance en elle mais avec un besoin désespéré de survivre. C’est une hypocondriaque, une agoraphobe, avec des traumatismes liés à l’enfance. D’ailleurs, elle a conservé le corps de son père décédé et s’adresse souvent à lui… Quoique, le plus souvent, elle réponde elle-même à ses propres questions. D’un point de vue politique, il y a des moments où elle invente des trucs… ou elle fait juste n’importe quoi.
Will Tracy, le créateur de The Regime, fasciné par les tyrans ivres de leur pouvoir, confesse avoir fait de son personnage une femme lorsque Giorgia Meloni est arrivée en Italie. Il s’est inspiré de la montée inquiétante des politiciennes populistes en Europe…
A l’inverse de Will, m’inspirer de femmes d’extrême droite existantes était un écueil, car je voulais faire de la pure comédie, je voulais faire quelque chose qui semble vraiment absurde, façonner du jamais-vu. Le fait que le dictateur soit une femme, pas un homme, fait toute l’originalité de la série. Je pressentais toutes les nuances et la fragilité féminine que je pourrais explorer derrière le tyran. Bien sûr qu’on trouve de grands thèmes dans The Regime, et toute une toile de fond géopolitique qui fait écho à notre époque, mais d’autres facettes plus humaines de la vie d’Elena m’attiraient. Comme sa liaison avec “le Boucher”, cette histoire d’amour inattendue, tordue, mais touchante, entre ces deux désaxés qui se percutent et deviennent obsédés l’un par l’autre. Et croyez-moi: personne d’autre que Matthias Schoenaerts n’aurait pu interpréter cet amant transi de façon aussi fascinante!
Un grand coup de chapeau au casting : cette cour si shakespearienne qui vous entoure !
Exactement. Nous étions une véritable troupe jouant une sorte de Richard III revu et corrigé ! Ce tournage était fabuleux : vous êtes au milieu d’un vrai palais viennois transformé en palace décati, à mi-chemin entre le Kremlin et Versailles ; Stephen Frears a planté sa caméra, un gage d’excellence ; vous avez l’une des meilleures comédiennes de tous les temps, mon amie Andrea Riseborough ; un Matthias Schoenaerts si sensible, si vivant, si gentil dans la vie ; Guillaume Gallienne dans le rôle de mon mari répudié… Guillaume Gallienne : cet acteur est tout simplement génial ! Vous avez même un Hugh Grant méconnaissable… Nous avions tant de fous rires, tous ensemble, que Stephen Frears devait nous rappeler à l’ordre ! Pendant la scène d’amour avec Matthias, où je crie : “Pas mordre, pas mordre !”, le chef opérateur Alwin Küchler a dû quitter le plateau, tellement il était plié en deux de rire !
Parlez-nous de l’importance des costumes…
Consolata Boyle ! Immense costumière qui a fait tous les films de Stephen Frears. J’ai eu beaucoup de discussions avec elle et Stephen pour comprendre pourquoi je devais avoir un comportement différent avec certaines personnes et soudain m’habiller de façon grotesque ou très sexuelle, serrée dans une robe d’inspiration militaire parfaite pour traverser le palais au pas de charge… Ou être parfaitement ridicule en mini-jupe bordée de fourrure blanche et en bottines pour chanter Santa Baby à une nation affamée !
Une autre séquence grinçante, celle où Elena massacre If You Leave Me Now lors d’un luxueux dîner de charité…
Elena suppliant à son peuple de ne pas la quitter de sa voix de fausset… Une grande idée scénaristique…
Stephen Frears dit s’être inspiré pour cette scène d’une vidéo où l’on voit Vladimir Poutine chanter au karaoké Blueberry Hill devant un parterre de stars, Kevin Costner, Sharon Stone, Gérard Depardieu… lors d’un gala de charité qui s’avéra être une escroquerie. Tout le monde s’était levé pour ovationner le bien piètre chanteur !
C’est tout ce qui rend The Regime aussi désopilant que glaçant : ridiculiser les puissants est tellement nécessaire! Comme le dit Stephen Frears : “Dans cette fiction, tout est vrai, il suffit d’aller sur YouTube !”
«The Regime», de Will Tracy, réalisée par Stephen Frears et Jessica Hobbs. Disponible sur les plateformes HBO Max et sur Prime Video/Pass Warner.
Propos recueillis par Juliette Michaud
Photographie principale © Williams & Hirakawa / AUGUST
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