La splendide affiche de Spencer, de Pablo Larrain, Lady Di vue de dos effondrée dans une robe de conte de fées, dit tout. Comme dans Jackie, le précédent biopic du jeune réalisateur chilien, il est question d’une femme emprisonnée dans une cage dorée. La “captive”, c’est l’actrice la plus libre, la plus magnétique, la plus rebelle d’Hollywood. Starifiée par les Twilight et Charlie’s Angels, émancipée par Olivier Assayas, Kristen Stewart, 31 ans, insuffle à ce poème filmé l’écho de sa propre célébrité, de ses propres doutes, et apporte au rôle autre chose qu’une ressemblance : son mystère, sa fragilité et sa force. Une interprétation qui déclenche des rumeurs d’Oscar, car chacune des apparitions de cette princesse aux yeux électriques éblouit. Spencer sortira chez nous directement sur Amazon Prime Video. Traitement pas très royal. Raison de plus pour ne pas le manquer.
Après Joan Jett, après Jean Seberg, vous voici dans la peau de la princesse de Galles…
Kristen Stewart. Lorsque Pablo m’a parlé du projet, il ne l’avait pas encore écrit. Il m’a demandé : “As-tu jamais pensé jouer le rôle de Diana ? Je suis en train d’écrire un film sur elle, et je pense que tu es le personnage.” Ma réaction a été de lui dire… qu’il était dingue ! Essayer de reproduire une personne aussi inimitable peut être un sacré piège, car chacun a sa propre version de Lady Di. Mais je me suis déjà glissée dans la peau de personnages réels, ça fait partie de mon job d’actrice. En fait, ma grande irresponsabilité a été d’accepter le scénario avant de l’avoir lu. Genre : “Qui suis-je pour refuser un tel défi ?” (Rires.)
Qu’est-ce qui vous touche chez Diana, et pourquoi, à votre avis, a-t-elle touché autant de gens ?
Certaines personnes sont nées avec une énergie qui vous stimule ; elle en faisait partie. J’étais attristée par la contradiction entre son apparence, lumineuse de décontraction, amicale instinctivement, maternelle, et le nuage gris de solitude qui l’entourait. Elle donnait aux gens une lumière pour les accompagner dans la vie, et tout ce qu’elle demandait en retour, c’était un peu de cette lumière. Nous sommes toutes et tous les miroirs les uns des autres. Vous recevez ce que vous donnez. Mais Diana ne recevait pas en retour ce qu’elle donnait. Ça en dit beaucoup sur son milieu, la royauté, censé faire rêver… J’aime aussi sa timidité. Plutôt que de nouvelles révélations, c’est sa vie intérieure, vraiment poétique, qui porte tout le film.
Lady Di, c’est bien sûr aussi son style. Vous qui affolez les tapis rouges, comment le voyez-vous ?
La mode veut donner du rêve, transformer votre apparence. Mais Diana, même lors de ses apparitions les plus élégantes donnaient l’impression de pouvoir à tout instant envoyer valser ses escarpins, vous prendre par le bras et vous demander comment va votre vie. L’honnêteté émanait d’elle. C’est ça que je préfère chez Diana. Oui, elle avait un sens du style incroyable, et elle savait utiliser sa garde-robe comme une armure. Mais rien n’y faisait, puisqu’elle portait son cœur en bandoulière.
Le film montre que personne ne peut vous enseigner comment être célèbre. Avec le côté sombre…
Je ne connais qu’une infime partie de ce que Diana a connu, rien en comparaison de cette “icône du peuple”. Dans la vie, on ne peut pas tout contrôler. La célébrité est difficile à gérer : parfois, même en interview, vous voulez revenir en arrière et dire : “Non, ce n’est pas ce que je voulais dire, attendez, je vaux mieux que ça !” (Rires.) Tout est scruté à la loupe et vous pouvez vous sentir comme un animal. Mais il faut aussi savoir relativiser…
C’est un rôle à la fois très libre et physique, on vous voit courant à perdre haleine ou dansant dans des salles de bal vides. Votre état d’esprit sur ce film ?
Je ne me suis jamais sentie aussi vivante que sur ce tournage. Nous avons tourné ces séquences un peu chaque jour à la fin de chaque journée de tournage, de façon improvisée, syncopée. Nous avions dans l’emploi du temps un moment réservé pour que je puisse danser dans un lieu différent chaque soir. Un peu comme du free jazz, même si Pablo me mettait toutes sortes de musiques, de Miles Davis à Nirvana, en passant par Sinnead O’Connor. Je voulais juste habiter l’espace, prendre ce que j’avais appris de Diana dans la journée, et le faire vivre d’une autre façon. Car nous ne faisions pas un biopic conventionnel. Il ne fallait pas tomber dans le piège de l’imitation de Diana, et d’ailleurs je n’aurais pas pu. Nous avons voulu faire vivre son esprit libre et moderne. Du moins tel que nous l’imaginions.
Avez-vous conservé des manières royales ?
Ma politesse s’évanouissait dès que je quittais le plateau (Rires). Je ne faisais que suivre les conseillers en protocole royal. Je suis américaine, Pablo vient du Chili, nous ne sommes pas très aristocratiques. Mais, au moindre faux pas, une personne était là pour me rappeler à l’ordre !
Vous venez de tourner Crimes of the Future, du troublant David Cronenberg, avec Viggo Mortensen et Léa Seydoux. Qu’attendez-vous d’un réalisateur ?
Je réponds aux appels des metteurs en scène plus que je ne les provoque. J’ai beaucoup grandi chez Olivier Assayas. J’aime être surprise et, sur Spencer, j’ai vraiment été surprise. Pour saisir toutes les émotions sur mon visage, la caméra de Claire Mathon, notre chef opératrice française, me suivait au plus près, me touchait presque parfois. Et Pablo me suivait partout où j’allais. A un moment, j’ai crié : “Mais laissez-moi respirer, j’ai besoin d’une distance, vous allez me frappez avec cette caméra, écartez ce putain de truc de moi !” Mais je ne pouvais pas y échapper. Cette méthode collait à l’histoire que Pablo voulait raconter : me faire plus encore sentir prisonnière d’une condition dont je voulais, comme Diana, sortir… mais c’était parfois suffocant !
Propos recueillis par Juliette Michaud
«Spencer», de Pablo Larrain, à voir sur la plateforme Amazon Prime Video
Photographie par Olivia Malone / Trunk Archive
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