Frédéric Rouzaud, président de la maison de champagne Louis Roederer et septième de la génération, nous parle de son engagement pour l’art et de sa détermination à révéler la quintessence des terroirs et la magie du champagne.
Comment est la récolte cette année ?
Le champagne se mérite ! C’est une année de vignerons, dans le sens où il a fallu, encore plus que d’habitude, être derrière les vignes pour faire face à une année compliquée. C’était violent : un hiver doux, de fortes gelées au printemps, de gros orages et un été qui n’est jamais venu… Mais on va avoir de très bons vins en 2021 ! C’est la bonne nouvelle. Étant bio, il fallait être encore plus vigilant cette année.
Le bio change-t-il le goût ?
Ça magnifie le goût ! Les raisins sont plus savoureux, plus goûtus. Ça rend le champagne plus riche, plus vibrant, plus pur, plus authentique, plus frais, plus mûr, plus complexe : c’est le jour et la nuit !
Vous avez une importante mission de conservation des savoir-faire…
Toute cette richesse patrimoniale : la façon de tailler, de faire son chemin de vendange pour ramasser chaque parcelle au bon moment, les sélections massales de pieds qu’on replante… c’est passionnant. Une adaptation permanente pour interpréter au mieux cette nature. On a surtout de la chance d’avoir ces terroirs, ça nous oblige. Quand on a des joyaux comme ça dans les mains, c’est irrésistible.
Des connaisseurs vous surnomment l’Hermès du vin…
Oui, La Revue du vin de France avait fait un classement des 50 meilleures maisons de champagne : ils nous avaient mis numéro un et désignés «l’Hermès de la Champagne». Nous avons une approche esthétique de notre métier.
Pour la même raison, vous avez créé la Fondation dédiée à l’art et la culture ?
Dans l’histoire de la famille, il y a toujours eu cet amour des lettres et de l’art. Nous avons commencé avec la Bibliothèque de France, et son souhait de mettre en valeur son magnifique patrimoine photographique qui somnolait dans ses archives. Puis, en 2011, nous avons décidé de mieux structurer ce mécénat et de lui donner une direction artistique.
Avec quels axes ?
Nous ouvrir à d’autres institutions, comme le Palais de Tokyo et le Grand Palais. Soutenir la photographie et le cinéma à travers le prix Découverte aux Rencontres d’Arles, et les prix de la Révélation à la Semaine de la critique à Cannes et au Festival du cinéma américain de Deauville. Nous donnons aussi une bourse de recherche à la BnF pour un jeune chercheur en photographie. Avec une volonté demain de mécéner directement des artistes, comme nous l’avons fait avec Laure Tiberghien, gagnante il y a deux ans de notre prix de la révélation, à qui nous avons commandé un travail d’interprétations de nos maisons de vins en Californie, en Espagne, au Portugal… Plus récemment, Duy Anh, un artiste que l’on aime beaucoup, qui fait des choses à partir d’éléments de la nature. Il est venu à Reims rencontrer les équipes, et cela a abouti à une commande de quatre œuvres, dont la première, Lignes de vie, est un module de craie sur lequel il a peint à la feuille d’or les lignes de vie de cinquante collaborateurs de la maison.
Y a-t-il des correspondances entre l’art et votre maison de champagne ?
Le leitmotiv de la Fondation Roederer est de révéler de jeunes talents et de s’inscrire dans la durée. Le fait d’être une maison familiale et indépendante nous donne cette liberté de prendre du temps dans la conduite de nos projets. L’art fait écho à notre métier. Nous ne sommes pas des artistes, bien sûr, mais nous nous en approchons un peu, car il faut composer, assembler, marier des vins comme un peintre fait un tableau avec plusieurs couleurs. Nous sommes des artisans contemporains du vin.
Quelles sont les valeurs partagées ?
L’indépendance, l’humilité face à la nature, le partage et l’émotion. Je pense que nous sommes dans un métier où il faut une certaine sensibilité. L’audace est également importante. Nous avons souvent été pionniers dans l’histoire. Louis Roederer a été le premier négociant de champagne à acheter des vignes. En 1850, personne ne voulait, c’était trop cher à entretenir, il fallait des chevaux… c’était plus rentable d’acheter du raisin. Lorsque son fils Louis a créé Cristal pour le tsar Alexandre II en 1876, c’était la première cuvée de prestige créée en Champagne. C’était audacieux. Lorsque nous avons perdu le marché russe en 1924, nous l’avons lancé dans le monde entier, et ce fut un succès phénoménal. Et, pour finir, l’authenticité : faire ce qu’on dit et dire ce que l’on fait.
Quelle est l’exposition la plus insolite que vous avez soutenue ?
J’ai beaucoup aimé celle qui s’appelait Controverse, les cent chefs-d’œuvre qui avaient fait l’objet d’une controverse, sélectionnés par la BnF dans son fonds photographique…
Est-ce que le mécénat vous donne des idées pour créer des champagnes ?
Bien sûr ! Il y a des ponts permanents et des infusions artistiques qui ouvrent le champ des possibles. On a fait des choses avec Philippe Starck, on a créé un vin brut nature avec lui parce qu’il adorait les champagnes non dosés, il se trouve que j’aimais ça aussi.
Quels sont les objectifs de la Fondation pour les dix ans à venir ?
On va garder le mécénat traditionnel d’institutions comme le Jeu de Paume et la BnF, les prix à Arles, à Deauville et Cannes, qui sont très intéressants pour les jeunes talents, mais je pense qu’on va accentuer un peu plus le mécénat direct auprès d’artistes.
Depuis cette année, la Fondation apporte son soutien à la Villa Médicis…
Oui, encore le soutien des jeunes artistes, ça, c’est génial. C’est la France en Italie, mais ça ne nous déplaît pas d’être un peu à l’extérieur de la France.
Avez-vous aussi une collection ?
Nous avons pas mal de choses : une vidéo de Sophie Calle, des néons de Jean-Michel Alberola, des photos de Raymond Depardon, de Bettina Reims, de JR, que nous avons mécéné il y a quinze ans… Peut-être qu’un jour, quand on estimera qu’elle est suffisamment intéressante, nous la montrerons.
Que retenez-vous de ces dix années de mécénat ?
Beaucoup de bonheur. De grands moments d’émotion avec les artistes, de découverte avec tous ceux qui gravitent autour des institutions et des festivals.
Propos recueillis par Anne Delalandre
Photographie principale par Enzo Orlando : Frédéric Rouzaud avec l’artiste Duy Anh Nhan Duc.
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