Il est un véritable marronnier, un plaisir de saison qu’on ne saurait consommer plus que de raison, car il est un mets rare et cher, préciosité d’ailleurs illustrée par son emballage de papier doré et sa boîte écrin. Fin des fins des fruits confits, de simple châtaigne, il se transforme en bijou de gourmandise par la magie de la cristallisation chère à Stendhal, que l’on s’offre toujours au pied du sapin.
Si le marron chaud fait le trottoir, le marron glacé est si fragile que seule une poignée de confiseurs-chocolatiers- pâtissiers en proposent la vente. Même le spécialiste du fruit confit à Paris, Café Verlet, ne peut les présenter tant ils réclament des attentions particulières, comme, a minima, un lieu tempéré. Les modèles d’excellence se repèrent à leur forme généreuse, rondement galbée, un glaçage à peine irrégulier, une texture charnue et fondante, non farineuse et subtilement sucrée avec des pointes de vanille. Il faut les consommer rapidement, car ils ne se conservent pas longtemps, deux semaines tout au plus (le mieux est dans le bac à légumes du réfrigérateur, à l’envers).
Il serait né au XVIe siècle en Italie, mais c’est un Français, le sieur de Varenne, qui, le premier, en 1667, dévoile dans son livre Le Parfait Confiturier «la façon de faire marron pour tirer au sec». La recette est proposée à Versailles, écho gourmand à la galerie des Glaces. Vient ensuite Bélisaire Boissier en sa Maison qui le pratique avec méticulosité depuis 1817 (48 rue de Passy, Paris XVIe). Les châtaignes proviennent uniquement de lieux d’excellence (Ardèche, Naples et Turin). Puis vient le glaçage, translucide et dur au toucher: «Il ne doit ni coller ni friser à la sortie du four. Le marron Boissier est glacé plusieurs fois à intervalles réguliers et suit une procédure délicate, qui apparente la technique du glaçage à un vrai travail d’orfèvre.»
Il nous faut sortir un peu de Paris, car le marron glacé est avant tout une tradition ardéchoise. En 1882, Clément Faugier crée à Privas la première entreprise de marrons glacés, alliant fabrication industrielle et savoir-faire artisanal. L’un ne va pas sans l’autre, car seize étapes toutes plus délicates les unes que les autres sont nécessaires à sa confection, de la cuisson à la vapeur pour détacher l’écorce jusqu’à l’emballage manuel dans le papier aluminium doré, indispensable pour la préservation des saveurs. Pour l’anecdote, c’est le même Clément Faugier qui invente l’emballage sous vide, un jour de 1890 où il reçoit une commande de Zanzibar (les marrons Clément Faugier se commandent en ligne).
En Ardèche encore, il faut citer la Maison Sabaton, le «roi du marron», qui confit la châtaigne du pays depuis plus d’un siècle (comme pour Faugier, les marrons Sabaton se commandent en ligne). L’Ardèche n’a pas l’hégémonie: il y a aussi la région de Marseille où règne la famille Corsiglia, «l’excellence de la tradition depuis 1896». C’est à cette date qu’André Corsiglia s’établit confiseur et se fait une réputation avec ses marrons glacés. Il en dépose même quelques années plus tard un brevet de «perfectionnement au matériel et procédés de fabrication des marrons glacés». Aujourd’hui à Aubagne, l’entreprise s’applique autant à innover, explorant de nouvelles méthodes de fabrication (comme le «confisage au tulle», les marrons étant enveloppés dans une mousseline de tulle afin d’éviter la trop grande absorption de sucre), qu’à rester dans les mains de la même famille (elle en est à la sixième génération!). Les marrons Corsiglia se vendent dans les meilleures épiceries fines de la capitale. Plus confidentielle encore, La Casa di a Castagna, une toute petite entreprise familiale corse, basée à Zevaco dans le parc naturel du Haut-Taravo. Elle est spécialisée depuis vingt ans dans les marrons glacés et confitures de châtaigne, produites sur place. Ah, ce fameux terroir corse! Le goût de sa châtaigne est si délicat que l’Ardèche n’a qu’à bien se tenir…
Revenons à Paris et parlons méthode de dégustation. Si le caviar se déguste avec une cuillère de nacre, le marron se déguste du bout des doigts. «Le marron glacé doit être partagé délicatement en éclats pour libérer en bouche toutes ses saveurs.» C’est Patrick Roger qui y tient. A noter que le chocolatier déroge à la tradition du papier doré, pas à la boîte écrin: ses marrons glacés, brillants comme des bijoux, se présentent en 8, 15 ou 20 pièces, serrés les uns contre les autres, telles des sardines de luxe.
Autre chocolatier à faire l’apologie de ce beau bonbon, Pierre Marcolini. La «haute chocolaterie » ne lésine ni sur la vanille (sa réputation) ni sur la mise en scène: en vente exclusivement en boutique, dans de petites boîtes en fer, les marrons sont aussi disponibles à la pièce à déguster minute.
On peut compter aussi sur La Maison du Chocolat comme sur La Mère de Famille, des valeurs sûres. Plus discret est Debauve & Gallais. Le créateur des Pistoles de Marie-Antoinette, authentiques chocolats créés et dégustés pour et par la reine, joue des mets d’apparat, et le marron glacé en fait partie. C’est une expérience que d’en faire l’acquisition dans la sublime boutique de la rue des Saints-Pères (Paris VIIe), sur les pas de Proust et Brillat-Savarin.
Enfin, si vous recherchez l’originalité, sans céder aux frivolités de Corsiglia (marron glacé à la poire Williams, au cognac ou à la mirabelle), on vous conseille tout de même un détour par les Cafés Verlet cités plus haut. La maison devient le spécialiste du fruit confit d’octobre à janvier. Parmi le panel de melons confits, d’écorces d’orange, de rondelles de kiwi, il y a un produit qui ressemble étonnamment par son aspect au marron confit, mais qui explose en bouche aussi délicatement: la figue confite. Bonne expérience et joyeuses fêtes!
Anne Carpentier
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