C’est l’histoire d’un jeune architecte qui répond à une annonce et qui, lors de l’entretien d’embauche, à la question «Que savez-vous faire ?», répond : «Rien.» Coup de chance, c’était la bonne réponse. Il est engagé. Depuis, Antoine Courtois a fait beaucoup : les Ateliers de France sont aujourd’hui un groupe international spécialisé dans la restauration du patrimoine et dans l’aménagement et la décoration d’ouvrages d’exception. Composés d’une vingtaine d’entités qui déploient des savoir-faire uniques, ils comptent 1 700 personnes dans le monde et se sont vu confier la restauration des fabuleuses statues des apôtres de Notre-Dame.
Comment tout a commencé ?
J’ai démarré tout petit, en 1991, à l’Atelier Mériguet-Carrère, une entreprise de peinture décorative, de restauration de décors et de dorures, créée en 1960 par Paul Mériguet. Cet homme de bien s’est levé un matin en se disant qu’il n’y avait qu’une seule façon de faire les choses : la meilleure, la plus belle.
Une entreprise peut grandir avec ce genre de valeurs ?
Cette entreprise travaillait déjà dans le monde entier pour des clients qui sont, disons, des rois et des reines dans leur domaine. Entre 1991 et 2001, nous l’avons fait croître sans la transformer, sans altérer son image ni sa notoriété. J’aime dire qu’on n’a rien changé.
Comment passe-t-on d’une entreprise spécialisée dans la peinture décorative à un groupe international ?
On commence à tisser des liens, à connaître le milieu, à rencontrer des gens dans d’autres corps de métier. On se construit un carnet d’adresses de gens intéressés par ce qu’on fait. On rachète d’autres ateliers qui ont d’autres savoir-faire. Souvent, ils étaient à un stade où celui qui le dirigeait, un homme-orchestre, n’avait pas forcément la bonne personne, non pour le remplacer, mais au moins pour lui succéder. C’est comme ça que les Ateliers de France se sont peu à peu constitués, avec un dénominateur commun : l’amour du travail bien fait, quel que soit le métier. Nous faisons tout pour que le chemin parcouru soit une fête plutôt qu’un cauchemar.
Comment organisez-vous cette fête ?
Notre développement est basé sur la main-d’œuvre propre. Dans le bâtiment, dès que c’est possible, on préfère sous-traiter. Nous, dès qu’on croise quelqu’un qui a un savoir-faire, on l’embauche, avant même de savoir si on aura du travail pour lui. On pense que, quand on a le savoir-faire, on a du travail.
Comment se développe-t-on sur des métiers qui ne sont pas, à l’origine, forcément les siens ?
Chaque entité garde son management et son savoir-faire. Chaque usine, chaque atelier restent autonomes, avec des ouvriers qui ne sont pas interchangeables. Quand on fait les plannings, c’est avec le prénom de chaque intervenant, qui a son savoir-faire particulier.
Comment la Socra, qui fait partie de votre groupe, a-t-elle remporté le chantier des douze apôtres de Notre-Dame ?
On leur devait déjà l’archange du Mont-Saint-Michel, le lion de la place Denfert-Rochereau, les quadriges du Grand Palais… Par un hasard incroyable, les apôtres ont été confiés à la Socra pour restauration en avril 2019, avant l’incendie. C’est sans doute ce qui les a sauvés.
Comment s’est déroulée cette restauration ?
Les statues, qui mesurent près de 4 mètres de haut, ont été hissées par une grue de 80 mètres, puis transportées vers les ateliers de la Socra, à Marsac-sur-l’Isle, près de Périgueux. Elles ont été débarrassées de leur couleur vert-de-gris, résultat de soixante années d’oxydation et de corrosion. Les parties trop dégradées ont été remplacées par des pièces en fer forgé, puis soudées entre elles, puis isolées par une couche de Téflon… Un microgommage a permis de retrouver le métal sain, de couleur rosée. Puis est intervenu le patineur, une patineuse en l’occurrence, pour donner au métal une belle couleur brun profond, conforme à la patine d’origine.
Vous avez célébré le moment où on vous les a confiées ?
Non ! Nous étions juste contents, de façon très discrète. Nous sommes très fiers mais on n’en fait pas trop. Chaque jour, chaque nouveau marché, chaque nouveau chantier, est l’occasion de prouver notre savoir-faire et de préparer l’avenir. C’est pour ça qu’il n’y a pas de petits chantiers ou de petite restauration. Rien n’est à négliger quand on est dans un monde difficile. Nous sommes 1 700. Il faut trouver du travail pour tout le monde. Nous avons fait le choix d’intégrer tous ces savoir-faire, et nous n’avons donc pas le choix : il faut du travail, du travail, du travail.
Qu’est-ce qui vous plaît dans ce que vous faites ?
La chance que nous avons d’entrer et de travailler dans des endroits incroyables, qu’on n’imagine pas, aux quatre coins du monde, que ce soit Notre-Dame, la Grande Arche de la Défense, des palais privés, des édifices publics…. en Ukraine, en Angleterre, aux Etats-Unis, au Moyen-Orient. L’Elysée, Matignon, la Maison-Blanche. C’est nous qui avons fait le bureau d’Obama… Mais ce qui me plaît le plus, c’est l’humain, les équipes, l’ambition commune, l’esprit qui nous anime. Et nous avons plein de jeunes, c’est fabuleux.
Comment se passe la transmission ?
L’idée, c’est que rien ne se perde. Dans nos métiers, on dit : «Ne pas transmettre, c’est voler.» Au sein de chaque atelier, nous sommes très vigilants sur le fait qu’un ouvrier, un compagnon qui a un savoir-faire particulier, ne parte pas à la retraite sans qu’on lui ait donné l’occasion de transmettre son savoir. C’est une transmission orale, ça ne s’apprend pas seulement à l’école.
Est-ce qu’il faut au départ avoir du talent ?
Nous n’aimons pas ce mot. Pas de prétention, dans ce qu’on fait. On préfère le travail. Se remettre en question tous les matins, se demander si ce qu’on fait est bien, comment on peut l’améliorer. Et il faut se rappeler que nous sommes au service de gens qui nous font confiance et nous donnent du travail. C’est une chance, c’est un honneur.
Un de vos meilleurs souvenirs ?
Un palais en Russie, à une heure de Moscou. Nous avons tout fait, tout, jusqu’au décor intérieur. Tous les corps de métiers étaient représentés. C’est un chantier hors du commun, où nous avons pu dérouler notre savoir-faire sans limites. Mais si jamais on ne sait pas faire, on va aller chercher le savoir-faire qui nous manque pour étoffer nos équipes et répondre à la demande.
Dans ce cas, vous rachetez la société que vous avez fait intervenir ?
Pas forcément. Mais ça peut arriver. On ne se l’interdit pas. En toute chose, on veut le meilleur. Le meilleur peintre, le meilleur menuisier, le meilleur marbrier… La qualité, sous toutes ses formes. Depuis 1960, rien n’a changé.
Propos recueillis par Ellen Willer
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