Tout n’a pas été sombre et triste en 2020, des disques ont su nous rendre le sourire et l’énergie pour bouger, danser ou planer. Disco torride, variété sentimentale, rap enchanté, punk hurlant, électro apaisante, rock psychédélique, voici les dix disques qu’il ne fallait pas rater en cette si étrange année.
Julien Doré : Aimée
On le connaissait comme un chanteur de charme, distillant au travers de ses disques les affres de l’amour accompagné de sa belle gueule et de ses bouclettes, avec en prime son humour percutant sur Twitter. Avec ce cinquième album, qui correspond à son départ de Paris et son déménagement dans les Cévennes, Julien Doré bouscule complètement ses thèmes de prédilection (l’amour avec un grand A) pour parler d’engagement politique, de conscience écologique, d’espoir et de transmission. «Je ne veux plus écrire les peines que le féminin m’a faites», chante Julien dans le single La Fièvre, qui ouvre ce nouvel album en forme de calypso pop. Disque plus engagé, ironique et désabusé que ses précédents – qui, bien qu’écrit avant le confinement, résonne étrangement en ces périodes troublées –, Aimée est aussi un disque où Doré, tout doucement, comme habité d’une liberté nouvelle, se permet quelques embardées dans sa pop calibrée hit-parade, avec des rythmes exotiques, des citations afros, des embardées caribéennes, en les mélangeant avec des chœurs d’enfants ou en invitant la fantastique Clara Luciani pour un slow lacrymal à se damner.
Disclosure : Energy
Après un premier album en 2014, gavé de tubes dansants à souhait et de featurings qui depuis ont pris leur envol (London Grammar, Sam Smith, Aluna George, JamieWoon). Disclosure, les deux jeunes frères anglais Guy et Howard, n’ont pas arrêté d’essaimer, puisant dans le UK garage, la soul ou le dubstep, pour en livrer une version moderne hautement assimilable avec les hit-parades et les plateformes de streaming. Après un deuxième album, Caracal, un poil décevant, car trop pop et pas à la hauteur de ses ambitions, et quelques années passées à réfléchir, écrire et produire pour d’autres, le duo est enfin de retour avec Energy. Un condensé de sueur qui convoque rythmes afros, perles disco, funk lascif, tout en invitant une tripotée d’invités, dont les poids lourds Kelis et Common. Un disque qui porte à merveille son nom par l’énergie enthousiaste qui s’en dégage et s’avère comme une arme redoutable pour les dance floors.
Idles : Ultra Mono
Fer de lance de la nouvelle scène anglaise punk-rock avec des groupes comme Fontaine DC, Sleaford Mods ou Fat White Family, qui ont remis le goût des guitares électriques en fusion, des vocaux colériques et des lyrics politiques, le quintet Idles basé à Bristol récidive en beauté avec Ultra Mono, un troisième album brûlant comme de la lave. Avec déjà deux disques hautement acclamés par la critique et le public – Brutalism et Joy as an Act of Resistance –, plus bruts et hardcore dans leur conception, et des concerts en forme de manifestes punks et physiques, Idles a décidé d’aller encore plus loin et de passer le mur du son en faisant appel au producteur de hip-hop américain Kenny Beats, qui leur assure une puissance jamais vue. Avec ses rythmiques en forme de marteaux piqueurs, ses guitares déchaînées et le chant du leader, Joe Talbot, à la limite du hurlement paroxystique, Ultra Mono, disque incendiaire, se veut aussi un cri politique sorti droit du cœur pour la défense des opprimés, critique à l’égard du libéralisme, intransigeant vis-à-vis du Brexit, contre l’homophobie et sans concession vis-à-vis de la misogynie. Bref, un disque brutal et engagé, qui fera certainement plaisir à vos voisins, à moins de l’écouter au
casque.
Yuksek : Nosso ritmo
Il y a une dizaine d’années, le producteur et musicien rémois Yuksek s’est imposé comme un des fers de lance de la French touch 2.0, mélangeant pop, rock et dance avec allégresse. Après trois albums à développer cette formule qui apportait un bol d’air frais à une scène française qui avait besoin de se renouveler, l’envie s’est fait sentir d’explorer de nouvelles directions et de changer totalement de cap. En créant son propre label, Partyfine, Yuksek s’est ainsi engagé dans les sillons d’un disco moderne et lascif fortement inspiré par l’exotisme brésilien tout en multipliant les projets parallèles. Comme la bande-son du documentaire sur l’affaire Grégory qui a cartonné sur Netflix ou le tube irrésistible La Grenade, offert à Clara Luciani. Avec son quatrième album, Nosso ritmo, mélange de disco et de house où s’invitent Polo&Pan, Isaac Delusion, les Juveniles ou Queen Rose, Yuksek nous offre un disque sensuel et physique qui sent la piscine bleu azur, les peaux bronzés et la caïpirinha à plein nez.
Dua Lipa : Club Future Nostalgia (DJ mix)
A 25 ans, Dua Lipa, depuis son tube New Love il y a cinq ans, donne des sueurs froides à toute la pop contemporaine, de Rihanna à Madonna, de Katy Perry à Lady Gaga. Et on peut le comprendre tellement la jeune anglaise a ingurgité tous les ingrédients de la dance moderne pour les faire siens. La preuve en 2018, quand les Brit Awards l’honorent de cinq nominations, du jamais vu ! Entre disco revisitée et eurodance, collaborations bien senties avec Calvin Harris (dont le One Kiss a affolé les charts à raison) ou Diplo, la starlette de la pop sait apparemment parfaitement où elle va. S’il en fallait une preuve irréfutable, elle a eu l’idée de génie de confier à l’immense DJ The Blessed Madonna la relecture de son album Club Future Nostalgia en hymne pour les dancefloors. Se bousculent, dans ce mix enchaîné et ultra-jouissif, invités de marque (Jacques Lu Cont, Madonna, Missy Elliott, Joe Goddard de Hot Chip, Mark Ronson) et vieille garde de la house (Mr.Fingers, Masters At Work, Dimitri From Paris, Moo- dyman), qui livrent chacun des versions inédites de l’album, dont l’invitation à danser est purement irrésistible.
Tame Impala : The Slow Rush
Fondé en 2007 autour d’un concept de rock psychédélique revisité à l’aube des années 2000 avec des mélodies conçues pour faire rêver et centrées autour du musicien à belle gueule, cheveux longs et look de hipster Kevin Parker, Tame Impala s’est rapidement taillé une place de choix dans la hype du renouveau rock. Délaissant au fur et à mesure de son succès et de ses albums le côté brut, psyché et rock de ses débuts, pour se frotter autant à la soul qu’au RnB détourné, aux mélodies électroniques comme à la house ou à l’Autotune à gogo. Après des collaborations avec Lady Gaga, Kanye West ou Theophilus London et Mark Ronson, qui ont encore plus ouvert le champ des possibles de Kevin Parker, The Slow Rush, quatrième album de Tame Impala, est certainement le plus pop. Si Kevin ose enfin mettre sa voix sublime en avant, comme une prise de confiance salutaire, l’album axé sur le temps qui passe, lentement mais sûrement, tout en convoquant des souvenirs personnels, est un cocon pour les oreilles, un mélange d’influences disparates, comme la rencontre entre le funk autotuné des Daft Punk et le rock mélodique de Supertramp. Bref, une sorte de grand écart réussi et maîtrisé entre modernité et passé.
Caribou : Suddenly
A 42 ans, ce producteur d’électronique canadien, après avoir œuvré sous le pseudo Manitoba (qu’il a dû abandonner pour des problèmes de droits), s’est rebaptisé Caribou en 2005 et en a profité pour alléger sa musique, de manière plus amoureuse, mélancolique et dansante, tout en conciliant dancefloor, expérimentations électroniques et mélancolie pop. La preuve avec ses albums Swim et Our Love – gorgés de tubes nostalgiques et amoureux qui en ont fait l’invité parfait des festivals du monde entier. Son nouvel album, Suddenly, s’annonce plus aventureux et sort des sentiers arpentés autrefois par son auteur, qui le qualifie comme son disque «le plus étrange et personnel» de sa carrière. En effet, en s’aventurant vers des territoires qu’on ne lui connaissait pas, comme le funk de New Jade, la soul de Home ou la trap de Sunny Times, Caribou désoriente ses fans tout en conservant ce qui nous fascine chez lui. C’est-à-dire cette énergie ultra-mélancolique, rêveuse et dansante qui donne envie de se lover dans sa couette et d’hiberner tout l’hiver.
Nicolas Jaar : Cenizas
Difficile de faire plus agité que le producteur et musicien new-yorkais Nicolas Jaar, qui, à à peine 30 ans, a déjà sorti cinq albums et une ribambelle de maxis, monté le projet parallèle Against All Logic, avec Lydia Lunch et FKA Twigs en invitées, livré une performance de haut vol avec la danseuse mexicaine Stéphanie Janaina en forme d’immersion totale dans plus de trois heures d’improvisation, tout en signant la production de Magdalene, le deuxième disque de FKA Twigs. Avec Cenizas, c’est comme si le producteur, un poil intello et à qui parfois la dispersion tous azimuts ne réussit pas, revenait à ce qu’on aimait à ses tout débuts. Cette propension à mélanger ses racines sud américaines avec la house la plus minimale qui soit et cette habilité à construire un univers musical qui n’appartient qu’à lui, mélange subtil et bancal entre house, soul, dubstep et jazz, parcouru de fractures rythmiques et de silences feutrés comme autant de respirations nécessaires.
Horse Meat Disco : Love and Dancing
Vous pensiez le disco mort et enterré dans les années 1970, les ruines du Studio 54 (le club de tous les excès new-yorkais) et le dancefloor à dalles lumineuses du film Saturday Night Fever, et vous vous trompiez ! Depuis une dizaine d’années, le genre, renouvelé par toute une bande de jeunes producteurs issus des quatre coins du monde, ne s’est jamais aussi bien porté et remplit comme jamais les dancefloors. La preuve avec le collectif londonien Horse Meat Disco, quatre jeunes garçons éblouis par les boules à facettes et qui depuis 2004 propagent la bonne parole disco avec leurs soirées Glitterbox, qui s’étendent de Berlin à New York en passant par Lisbonne et Londres. Après une tripotée de remix fantastiques, qu’il serait trop long de lister ici, le collectif sort enfin son premier album. Une collection de quinze titres, où s’invitent les meilleurs vocalistes d’hier et d’aujourd’hui, comme Kathy Sledge des fabuleuses Sister Sledge, la jeune Amy Douglas, dont le nom est sur toutes les lèvres, ou N’Dea Davenport, la chanteuse des excellents et regrettés Brand New Heavies. Leur premier album, Love and Dancing, en forme de déclaration d’amour au genre, est rempli de chœurs, de violons, de rythmiques subtilement latines, de vocaux à gorge déployée et d’une énergie tellement folle qu’il donne l’impression qu’on s’est trompé d’époque et qu’on est revenu au temps béni des 70’s.
Ichon : Pour de vrai
Depuis trois mixtapes et EP – Cyclique, #FDP et Il suffit de le faire –, qui posaient ce gamin de Montreuil comme un castagneur de cour d’HLM prêt à en découdre avec le monde, Ichon a fait sa révolution. Même si on avait remarqué son incroyable flow, ses paroles incisives et son appétence pour les mélodies frôlant la variété, avec son premier album, Ichon assume enfin à 30 ans ses contradictions. Il faut dire qu’entre ces trois dernières années, il a beaucoup travaillé sur lui-même, suivi une thérapie, s’est réconcilié avec sa famille, a arrêté la dope et perfectionné son piano, tout en continuant de travailler avec les producteurs Loveni et Myth Syzer, que la planète urban s’arrache, et se faisant aider par le musicien PH Trigano. Le résultat, Pour de vrai, est parfaitement fidèle à son titre, où Ichon balaie le qu’en-dira-t-on, ouvre enfin son cœur et étale ses faiblesses. Tout en délaissant la trap couillue qui se la pète entre deux barres d’HLM, pour des mélodies plus douces et suaves, des rythmes G-funk, voire parfois house, des slows teintés de variété, du piano qui coule comme du miel, tout en optant pour le chant plutôt que pour le phrasé saccadé du rap. Histoire de confirmer qu’il est un des artistes français les plus talentueux de l’époque.
Patrick Thévenin
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