Avec son nouvel album consacré aux tâches ménagères, le géant barbu réussit une fois de plus à nous surprendre.
Dans Many Lives, le fantastique documentaire qui lui est consacré et sortira à l’automne prochain (présenté en avant-première au festival Fame à la Gaîté Lyrique), c’est toute la complexité de Sébastien Tellier, certainement le musicien le plus doué de sa génération, qui nous explose en plein visage. De ses débuts post-ado enfermé dans sa chambre à fumer joint sur joint à l’auteur du classique de chez classique La Ritournelle, du clown céleste qui ira concourir à l’Eurovision dans une voiture d’enfant au géant barbu tout de blanc vêtu et d’une élégance folle en concert lors d’un défilé pour Chanel, Sébastien Tellier est un être imprévisible. Un doux rêveur dont la folie et l’exubérance sont comme une seconde nature, même si son caractère extraverti trahit aussi un profond manque de confiance en lui. Ce n’est pas Domesticated, son dernier album, et le neuvième d’une déjà longue discographie agrémentée de bandes originales pour des films ou d’un album composé pour Dita Von Teese, la grande diva de l’effeuillement, qui lèvera enfin le mystère sur celui que beaucoup comparent à Gainsbourg, pour sa dégaine et la multiplicité des facettes dont il joue, mais aussi pour son aisance à se frotter à toutes les thématiques et tous les genres possibles, de l’électro à la musique brésilienne, de la sexualité à la politique, de la variété française des seventies au tout-piano, de l’enfance au délire autour des sectes et des gourous.
Pour Domesticated, qui aborde de front la question de la société de consommation chère au sociologue Roland Barthes ou à l’écrivain pince-sans-rire Georges Perec, mais saupoudrée d’une bonne dose d’humour et de paillettes qui font planer, Tellier, une fois de plus, a changé de studio (pour s’installer dans celui, renommé, de Bernard Estardy dans le XVIIIe), de manière de composer, en s’entourant de la crème des beatmakers anglais et ricains, et de producteur, en travaillant avec rien moins que Nk.F, qui s’est forgé une légende en s’imposant comme l’ingénieur du son de PNL. Dès le premier morceau, A Ballet, et son clip, bourrés au second degré, où des gants Mapa de couleur improvisent une chorégraphie très colorée, c’est un tout nouveau Tellier qui se dévoile. Un Sébastien qui a cédé aux rythmes trap, à l’urban music qui affole les playlists Spotify du monde entier, un musicien sans peur et sans reproche qui a laissé sa voix glisser dans l’autotune au risque de provoquer une crise cardiaque chez ses fans, et qui épouse le son de son époque tout en y imposant sa patte inimitable. Son sens de la mélodie imparable, sa voix qui semble verser des larmes à chaque syllabe, ses paroles surréalistes et surtout cette sensualité sous-jacente qui transforme chacun de ses disques en future madeleine de Proust.
Sébastien Tellier.
A la Cigale, 120 boulevard de Rochechouart, Paris XVIIIe, le 21 octobre.
Patrick Thévenin