Ces têtes “antiques”, ces bustes vénérables, ces drapés somptueux et ces colonnes doriques ou corinthiennes sont des “effets d’artiste” : elles ne sont pas en marbre. Elles ne datent pas non plus de deux mille ans. Elles sont récentes, légères, souples, fragiles, en tissu, et sont l’œuvre de l’artiste Sergio Roger.
C’est de ce trouble, de cette évidence démentie, que viennent la poésie et la beauté du travail de Sergio Roger. L’homme parle de «sculptures molles». Il vit à Barcelone et rêve de la Grèce antique, de la Rome ancienne et d’une archéologie différente, «moins basée sur des idées fausses ou une vision trop occidentale». Pour reproduire à sa manière le blanc pur du marbre des sculptures antiques (mais nous savons aujourd’hui que parfois les sculptures étaient peintes de multiples couleurs), l’artiste utilise des fibres naturelles, principalement du lin ancien, vieux de 100 ou 150 ans, ou de la soie brute. Les tissus sont le plus souvent chinés dans des boutiques spécialisées ou des marchés en Espagne et dans le sud de la France. Le tissage rugueux du lin aide à créer l’apparence de la pierre. «Je veux déconstruire notre conception de la sculpture traditionnelle, dit-il. J’essaie de réaliser chaque sculpture à partir d’un seul morceau de tissu. J’ai essayé d’autres matériaux, mais ce tissu a une histoire, il a une âme.»
L’artiste a intitulé ses sculptures Ruines textiles. Après avoir assemblé des motifs plats, il finalise le lin avec des points de couture ou des broderies. Pour figurer les cheveux et les barbes de ses bustes, il dessine d’abord les boucles, puis les travaille au fil. L’artiste s’en remet ensuite à un tapissier pour assembler la sculpture et la remplir. Lorsqu’une sculpture, comme Cyrène (2021), porte un costume, l’artiste amidonne des morceaux de lin, puis les drape en plis complexes. «Nous allons reproduire le monde en utilisant du tissu, a-t-il déclaré. Nous allons le rendre mou, et ensuite il sera drôle. Mon travail a de l’humour, mais je veux marcher sur cette ligne très étroite entre la beauté classique et l’ironie. Je ne veux pas que ce soit trop drôle ou trop doux.»
Une sélection de ses sculptures a été exposée à la Galerie Rossana Orlandi à Milan pendant la Semaine du design, en septembre 2022.
Claude Maggiori
Photographie principale : Eugeni Pons
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