« J’aime mettre en lumière ce que la société veut rendre invisible »
Ne vous fiez pas au chic élégant d’Edward Norton. Derrière les traits fins et l’allure d’intellectuel de ce New-Yorkais de 50 ans se cachent quelques-uns des rôles les plus déjantés du cinéma américain ! Le psychopathe bégayeur de Primal Fear, le néonazi repenti d’American History X, le cadre masochiste de Fight Club. Ou encore l’acteur troublant de Birdman, personnage qui, dit-on… serait très proche de lui dans la vie ! Ce qui rend immanquable son grand retour à l’écran dans son deuxième film en tant que réalisateur : Brooklyn Affairs, un pur film noir avec une incroyable brochette de stars. Dont le scénario, inspiré de faits réels, renvoie tout droit à l’Amérique de Trump.
Brooklyn Affairs est un film très noir. Qu’est-ce qui vous plaisait dans cette histoire très «pulp» ?
EDWARD NORTON. La force du livre, dont le film est adapté, Les Orphelins de Brooklyn de Jonathan Lethem, est de décrire la corruption politique et immobilière dans le New York des années 1950. Il fait directement écho à ce qui se trame à la Maison-Blanche aujourd’hui. Le thème est intemporel. Cela fait vingt ans que j’essaie de monter cette adaptation !
Vous êtes séduit par les personnages marginaux…
E.N. Je suis souvent attiré par les personnages marginalisés par un handicap, j’aime mettre en lumière ceux que la société veut rendre invisibles. J’ai adoré des films comme Forrest Gump, Rain Man, A Beautiful Mind, Good Will Hunting, parce que, lorsqu’on aime les héros de ces films, plus politiques qu’on le croit, on se sent meilleur. Peut-être que ces personnages qui luttent dans la vie avec une infirmité (et souvent avec un bon sens de l’humour) représentent nos luttes et nos limites à nous tous et nous encouragent à nous élever.
Et l’aspect film noir ?
E.N. Les films noirs ont toujours eu un rôle social critique. Leurs ombres et leurs tripots enfumés sont là pour nous dire de nous méfier de l’idéalisme américain. Tous les classiques du genre, Le Faucon maltais, Le Grand Sommeil, Chinatown…, montrent la dépravation derrière le vernis des élites.
Qu’est-ce qui vous a donné confiance en vos talents de cinéaste ?
E.N. J’ai beaucoup appris de Dick Pope, le grand chef opérateur anglais de Mike Leigh avec qui j’avais travaillé sur The Illusionist. J’ai compris avec lui l’importance de la lumière, souvent maltraitée en salle, où les exploitants montrent les films de façon trop sombre, ce que je dénonce ici. Je dois tout au merveilleux Milos Forman, qui m’a dirigé dans Larry Flynt. Milos Forman a été mon mentor.
Vous dites que personne ne voulait faire Brooklyn Affairs…
E.N. Monter un film, c’est très long. Au bout d’un moment, vous ne savez même plus pourquoi on vous dit non. Et, comme en cours de route la vie vous donne d’autres priorités, comme vous marier et avoir un enfant, on arrive vite à mettre vingt ans pour faire un film. (Rires) Le tout est de rester exigeant.
Votre exigence vous pousse à écrire vos propres histoires ?
E.N. J’ai mes opinions, mais je suis prêt à faire beaucoup de choses, comme retourner chez Marvel s’il le fallait. Et j’ai assez prouvé dans Birdman d’Alejandro Iñárritu, un film qui se moque de l’obsession d’Hollywood pour les super-héros, alors que Michael Keaton avait été Batman et que j’avais joué, justement, Hulk pour Marvel, que j’ai quand même un peu d’humour. (Rires)
Un mot sur l’impressionnant casting de Brooklyn Affairs…
E.N. Il y a longtemps, Bruce Willis, que je ne connaissais pas du tout, était venu me voir au théâtre. Le soir, en rentrant à mon hôtel, je trouve une longue lettre magnifique, signée Bruce, disant que voir la pièce lui avait rappelé pourquoi le petit gars du New Jersey qu’il était avait voulu être acteur, et qu’il serait prêt à jouer n’importe quel rôle avec moi. J’ai cru à une blague ! Bien des années plus tard, quand j’ai enfin eu le feu vert pour Brooklyn Affairs, je l’ai appelé en me disant qu’il avait dû oublier (ou qu’il préférerait faire un Piège de cristal 5). Mais il a dit oui sans même lire le scénario ! Willem Dafoe et Alec Baldwin, j’ai commencé avec eux au théâtre, nous étions toute une bande dont faisait aussi partie Philip Seymour Hoffman et Mark Ruffalo. Je remercie tous les acteurs de Brooklyn Affairs. Tout comme le génial Thom York, qui a signé la bande-son jazzy, d’avoir fait le film pour un salaire minimal. J’ai une dette envers tous ces gens-là.
Propos recueillis par Juliette Michaud.
«Brooklyn Affairs», de et avec Edward Norton. Sortie le 4 décembre.
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