« La famille est le socle de la créativité »
Chez les Buccellati, tout est affaire de famille et de transmission. Depuis quatre générations se perpétue ce travail d’orfèvre unique au monde où l’or et l’argent sont travaillés comme de la dentelle grâce à des techniques ancestrales de gravure. Pour célébrer ses 100 ans, la maison dévoile un nouveau diamant exceptionnel composé de 57 facettes appelé le Buccellati Cut. Rencontre avec Andrea, fils de Gianmaria, petit fils du fondateur Mario Buccellati, et sa fille Lucrezia, avec qui il partage dorénavant la création.
Andrea, qu’est-ce que votre père vous a transmis?
Andrea. Dans le travail, je pense, presque tout. Je suis resté à côté de lui pendant quarante ans. J’ai absorbé tout ce que je pouvais: la technique, l’interprétation du travail, les proportions, l’équilibre… Le plus important est qu’il m’a dit de respecter avant tout le travail des artisans. Parce que ce n’est pas nous seuls qui possédons ce bagage, ce sont aussi les artisans. Ça, c’est la chose la plus importante.
Et vous, Lucrezia, sauriezvous dire ce que votre père vous a déjà transmis ?
(«Je dois sortir?» demande Andrea en riant)
Lucrezia. C’est intéressant, parce qu’on s’attend à ce que l’ancienne génération vous dise: «Restez dans notre ADN, dans notre style», mais, pour nous, c’est tellement automatique. Je me souviens qu’à l’école ils m’ont dit : «Essaie d’échapper à Buccellati pour être un peu différente. » Mais c’est impossible. Parce que c’est vraiment en nous et parce que nous avons tous grandi dans ce monde. Depuis que je suis petite, je vois comment il dessine et comment il est profondément impliqué. En ce qui concerne le design, il essaie toujours de me calmer, quand je deviens très enthousiaste pour les pièces, il dit toujours : «Tu dois te calmer et réfléchir davantage à la réalisation. Le dessin doit être parfait avant d’être donné à l’artisan.»
A.B. Les artisans doivent réinterpréter le dessin. Ils sont excellents dans la réalisation, mais parfois ils ne comprennent pas le style, là est la différence entre un artisan et un artiste. A l’époque de mon grandpère, nous passions des heures avec les artisans et suivions pas à pas la réalisation. Mon grand-père tournait dans les ateliers et il voyait tout de suite si quelque chose n’allait pas. Aujourd’hui, nous avons tellement d’artisans et nous voyageons dix fois plus. Je vois les pièces étape par étape. Parfois, je les regarde dix fois, vingt fois, avant qu’elles soient terminées.
Les techniques ont-elles beaucoup évolué?
A.B. C’est difficile de faire les bijoux comme on les fait. Il y a des nouvelles techniques qui aident beaucoup et qui peuvent faire gagner cinq jours, et il y en a d’autres que je refuse. Avec l’ordinateur, ce n’est plus pareil. L’imperfection de la main humaine fait le bijou parfait.
Avez-vous les mêmes processus de création?
L.B. Non, moi, je suis plus libre…
A.B. Elle dessine beaucoup sur l’iPad ; moi, je n’y comprends rien du tout. J’ai besoin de mon petit crayon, un petit morceau de papier et ça suffit. Je mets une heure ; sur l’ordinateur, elle prend deux heures. Je suis beaucoup plus rapide…
L.B. Mais, avec le dessin sur l’ordinateur, je peux corriger, zoomer sur les détails, garder une pièce et la redessiner en boucle d’oreille…
Vous travaillez ensemble?
A.B. Sur la collection Mariage, la collaboration a été très intéressante. Nous sommes restés cinq jours à la maison, sans téléphone, sans personne. C’est pour ça qu’elle adore cette collection! On a fait tous les dessins ensemble. Puis, on a fait une autre collection avec l’aide de son mari inspirée par les peintures impressionnistes. On a choisi cinq peintures qui sont devenues cinq pièces dédiées à Monet, Bonnard… Puis, nous avons fait une exposition à New York avec les peintures à côté des bijoux.
Andrea, pensez-vous que le talent soit transmissible?
A.B. Le talent, c’est aussi une question de travail, de travail et encore de travail. Pour y arriver, j’ai dû travailler beaucoup, avoir des expériences, rester à côté de mon père pour apprendre, c’est long et fatigant. Le talent, c’est une prédisposition et tu dois le cultiver.
Lucrezia, vous êtes la première femme à travailler dans la maison?
L.B. Dans le dessin, oui.
Et vous pensez qu’en tant que femme vous allez apporter quelque chose de nouveau?
L.B. Oui, parce que nous pensons différemment. Je réfléchis aussi à comment porter les bijoux, pas seulement à la beauté du bijou. Quand je peux le mettre, s’il est confortable… Je pense aussi comme une mère moderne…
A.B. Il me vient une idée. Tu dois faire un bijou avec un son. Quand j’étais petit, ma mère avait un bracelet avec des médailles, avec notre portrait gravé. Quand j’étais en maternelle, j’entendais le son du bracelet et je savais que ma mère était là. Ça me donnait un sentiment de sécurité. On va travailler sur cette idée de bijoux pour les mamans !
Vous avez des enfants?
L.B. Oui, de 2 et 5 ans. Le petit passe des heures à dessiner des toutes petites choses, alors que les enfants de son âge ne dessinent pas comme ça. C’est vraiment spécial.
A.B. Il est très sensible. La prochaine relève est peut-être déjà assurée…
Qu’avez-vous imaginé pour le centenaire de la maison?
A.B. J’ai dessiné un diamant qui rappelle le logo de la maison. On a développé une collaboration avec Taché Diamonds, expert pour des tailles spéciales de diamants. J’ai dessiné les classiques de la maison comme ce bracelet serti de trois diamants, une bague où je réinterprète le logo comme une fleur, une broche inspirée des labyrinthes des jardins italiens, avec ce Buccellati Cut. Ça exprime l’anniversaire des 100 ans, car on dit toujours qu’un diamant, c’est éternel. Et il y a les créations que Lucrezia a dessinées, réinterprétant les dessins typiques de Buccellati, mais en plus modernes.
L.B. J’ai créé ce chocker avec les boucles d’oreilles dont le design géométrique n’est pas habituel chez nous. Le chocker est une pièce que la jeune génération aime porter. Quand je l’ai conçu, j’ai imaginé une femme avec un très long cou, un beau collier, de longues boucles d’oreilles et juste une longue robe bandeau noire.
Que penserait le grand-père fondateur s’il pouvait vous voir aujourd’hui?
A.B. Je l’ai connu jusqu’à mes 7ans. C’était un homme qui avait beaucoup de qualités artistiques, et de business aussi. Mais c’était surtout un rêveur, avec la passion de réaliser des bijoux incroyables. Aujourd’hui, s’il regarde le monde, il peut voir que quatre générations ont continué son oeuvre. Je pense qu’il est très heureux. Il y a tellement de marques dans le monde, mais il n’y en a pas beaucoup qui ont été capables de maintenir leur philosophie, qui sont restées fidèles au travail, à la qualité, au style. Merci à la famille qui est restée et qui est le socle de la créativité. Il y a des maisons qui sont plus anciennes que nous, mais qui ont perdu un peu leur âme parce qu’elles ont fait venir des personnes de l’extérieur, talentueuses, mais avec leur propre univers. Je suis heureux que ma fille continue la tradition. Et j’espère avoir la capacité de lui transmettre ce que mon père m’a transmis. J’aimerais qu’elle passe beaucoup plus de temps à Milan dans les ateliers. C’est difficile. Peut-être quand les enfants seront un peu plus grands…
Propos recueillis par Anne Delalandre
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