En 1969, en pleine explosion du Hollywood hippie, le rêve virait au cauchemar avec le meurtre de l’actrice Sharon Tate. Plus rien ne serait jamais comme avant. Surtout pas Hollywood. Et encore moins le Hollywood de Quentin Tarantino, dont le neuvième film pourrait un peu être la somme de ses huit précédents. Un véritable jeu de miroirs avec la mythologie hollywoodienne, dans lequel Brad Pitt joue la doublure de Leonardo DiCaprio et où Sharon Tate est ressuscitée sous les traits de Margot Robbie. Margot, Leo, Brad, trois soleils réunis autour de leur metteur en scène. Rare !
Quel a été le déclic pour vous décider à tourner ce film, Once Upon a Time… in Hollywood ?
Quentin Tarantino. L’idée a germé après le tournage de Boulevard de la mort en 2007, mais je m’y suis sérieusement attelé il y a seulement cinq ans, et par petites étapes. Je n’avais aucune structure. Je voulais juste que mes personnages, un acteur «has been» et sa doublure attitrée, déambulent dans le Los Angeles de mon enfance, quand le nouvel Hollywood a renversé l’ancien, que la télévision et la musique dominaient et que les stars américaines partaient tourner des westerns spaghettis. Et dans ce canevas-là, j’avais envie qu’on croise des gens comme Steve McQueen, qui avait eu le béguin pour Sharon Tate, ou Bruce Lee, qui lui avait enseigné les arts martiaux.
Le casting s’est tout de suite imposé ?
Quentin Tarantino. Je savais, après Inglourious Basterds, et Django Unchained, que je retravaillerais un jour avec Brad et Leo. Alors pourquoi ne pas faire d’une pierre deux coups ? (Rires)
Et Margot Robbie ?
Quentin Tarantino. Si Margot n’est pas l’équivalent de ce qu’était Sharon Tate à l’époque, elle n’en est pas loin ! (Rires) De par son talent et sa beauté, Margot est légitime pour incarner une telle icône. Elle est, certes, dans une meilleure position artistique que ne l’était Sharon. En même temps, avant le tournage, j’ai parlé à Warren Beatty, qui m’a dit avoir pensé à elle pour jouer Bonnie dans Bonnie and Clyde, le film phare du nouvel Hollywood. Si Sharon Tate avait vécu, elle aurait sans doute eu une grande carrière. Comme celle que connaît aujourd’hui Margot. Mais si je suis revenu sur son destin tragique, c’est peut-être parce que j’avais besoin aussi, à ma façon, de tordre le cou à ce fait divers odieux et toujours incompréhensible. D’autant que lorsque j’avais 6 ou 7 ans, mes parents m’avaient emmené faire du cheval dans un ranch semblable à celui que je mets en scène dans le film, aux abords de Los Angeles, où les membres de la «famille Manson» emmenaient pendant la journée les touristes monter à cheval. Si ça se trouve, j’ai fait une balade à cheval avec ces gens-là !
Brad Pitt. Jusqu’au meurtre de Sharon Tate, Hollywood vivait une époque idyllique. Il y avait de l’espoir, l’amour libre, de nouvelles idées, le cinéma évoluait… C’est après cette tragédie insondable qui a rappelé la nature la plus sombre de l’homme qu’Hollywood et l’Amérique tout entière ont perdu leur innocence. Le film traite merveilleusement bien de ce thème, avec un mélange de rage, d’humour, et d’incrédulité.
Margot Robbie. Avec aussi, il faut le souligner, beaucoup de tendresse et de respect.
Margot, à 21 ans vous partez d’Australie pour Hollywood. Treize ans plus tard, vous êtes l’une des actrices les plus stars de votre génération, et Quentin Tarantino vous a embarquée dans la légende. Cela fait quel effet ?
Margot Robbie. Cela fait partie de l’histoire extraordinaire que je vis à Hollywood, où j’ai la chance de me voir proposer des rôles radicalement différents, comme de passer de Mary Stuart à Sharon Tate, et de travailler avec les meilleurs cinéastes du monde. Je suis moi-même bluffée par de telles opportunités, mais elles ne me font pas peur. C’est mon travail. Lorsque Quentin m’a identifiée à Sharon Tate, j’ai endossé le rôle corps et âme.
Vous aussi, Brad et Leo, vous vous êtes identifiés à vos rôles dans le film ?
Leonardo DiCaprio. Dans le film, Rick Dalton et Cliff Booth font le point sur leur vie et leur carrière… Pour moi, l’identification était immédiate, tout comme l’évidence de croiser enfin la trajectoire de Brad, car nous avons tous deux commencé très jeunes dans le métier, à la même période, une époque qui, comme dans le film, n’existe plus. Nous avons noué sur ce film un vrai lien qui nous amènera à retravailler ensemble.
Brad Pitt. Je l’espère, car on a vraiment beaucoup ri. A mes yeux, Rick et Cliff, ces deux personnages de «loser» comme Quentin les affectionne, ne font qu’une seule et même personne. Ils doivent tous deux accepter d’être dépassés par les événements. Le personnage de Leo doit faire face à la vie alors qu’il est en pleine déprime. Le mien, lui, a dépassé cette phase de profonde déprime. Il est en paix avec lui-même. Ces deux personnages, et le film entier, en fait, ont beaucoup à voir avec l’acceptation.
Leonardo DiCaprio. Je suis conscient d’avoir énormément de chance, car j’ai de nombreux amis acteurs qui sont aujourd’hui comme Rick, perdant leur confiance à force de chercher encore un rôle qui n’arrive plus. Cela me rend très reconnaissant. Tout comme je le suis lorsque Quentin me donne l’occasion de retrouver Margot Robbie qui me volait déjà la vedette dans Le Loup de Wall Street ! (Rires) Le rôle de Sharon Tate, qui a très peu de dialogues, illumine en effet tout le film.
Margot Robbie. C’était vraiment l’idée. Pour aborder le rôle, j’ai vu et lu tous les documents, les images, les films qui existent sur Sharon Tate. Mais, comme toujours, et surtout lorsqu’il s’agit d’une personne ayant vraiment existé, à un moment, mon travail consiste avant tout à servir le personnage et à comprendre comment ce personnage peut servir le film. J’ai vu très vite le personnage de Sharon Tate comme le rayon de lumière de ce film, et c’est ce que j’ai essayé de représenter. Tous ceux qui ont connu cette merveilleuse jeune femme, disent qu’elle était un véritable rayon de soleil. C’est ce que j’ai voulu honorer. L’économie de dialogues est là pour accentuer le fait qu’elle représente la douceur, la vie, l’optimisme. Le film lui rend un vibrant hommage.
Roman Polanski a-t-il été consulté avant le tournage ?
Quentin Tarantino. J’ai rencontré deux fois Roman dans ma vie, et je le compte comme l’un des plus grands metteurs en scène contemporains. Mais à compter du moment où j’ai terminé le scénario, je n’ai jamais été en contact direct avec lui. En revanche, quand Roman a appris que je faisais ce film, il a fait appel à un ami commun qui m’a contacté pour savoir de quoi il retournait. Et j’ai fait lire le scénario à cet ami pour qu’il fasse part à Roman du contenu.
Quentin, vous avez déclaré que vous arrêteriez le cinéma après votre dixième film…
Quentin Tarantino. C’est toujours vrai. Il était une fois… Hollywood, comme me l’a fait remarquer mon assistant réalisateur, est déjà une sorte de résumé de ma carrière. Regardez : j’ai la chance de pouvoir réunir deux stars comme Brad et Leo sur la même affiche, de diriger Margot Robbie, l’actrice la plus en vogue d’Hollywood… Où voulez-vous que j’aille après ça ? (Rires) Après mon prochain film, il sera temps de rentrer les chevaux à l’écurie. (Rires)
Propos recueillis par Juliette Michaud
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