L’homme qu’elle aimait d’un amour infini est mort d’une crise cardiaque en 2018. Il lui avait donné tout ce qu’on peut espérer : confiance dans la vie, confiance en elle même en tant que femme.

Lui, c’était l’immense violoniste de jazz Didier Lockwood. Elle, c’est toujours l’époustouflante soprano Patricia Petibon. Ensemble, faisant de la vie un beau jeu, ils venaient de concevoir un spectacle «à notre sauce», comme elle dit. Sans lui, elle a servi Poulenc à l’orientale, saupoudré Mozart de scat et Puccini de bossa nova. Aujourd’hui, elle est partout. Lui est là, présent, à travers ceux qu’elle a choisis:

1/ NEIL ARMSTRONG. «Je n’étais pas encore née quand il a posé le premier pas sur la Lune, mais j’ai été extrêmement marquée par cet événement. Mon père avait pris des photos sur la télévision en noir et blanc. Je revois ses tirages aux bords dentelés. Ils me fascinaient. Ils ont déclenché une recherche de l’ailleurs, de la beauté, de l’immensité, du mystère, une sorte de conquête à exercer dans l’existence. Enfant, j’étais souvent sur mon lit à imaginer le cosmos. Je voulais être astronaute. Par la suite, je me suis intéressée à son personnage, à sa vie, traversée par le drame, la perte de sa fille de 2ans. J’ai suivi le parcours de la conquête: Gemini, les navettes qui explosent… On ne ressort pas indemne d’avoir quitté la gravité humaine. Comment revenir? Je ne loupe jamais un décollage. J’ai vibré au départ de Thomas Pesquet, qu’il m’arrive d’évoquer en concert. Mais Neil Armstrong, c’est le premier homme, en fait.»

© NASA

2/ ZÉLIA VANDENBULKE. «Zélia, sur la Terre comme au Ciel, c’est le nom de sa boutique d’extraordinaires robes de mariées. Je l’ai connue grâce à mon mari. J’ai été bouche bée. Je l’ai trouvée solaire, élégante, avec beaucoup d’allure, et drôle. On est devenues très amies. J’aime son histoire singulière. Elle est partie de rien, toute jeune, pour monter à Paris. Elle s’est faite toute seule, sans famille pour lui apporter la culture. Ni même la couture. Un tempérament. Une femme débrouillarde, avec beaucoup de solutions. On peut se confier à Zélia. Elle est farfelue, aussi. Dès que j’ai besoin d’une complice, je vais la trouver. Je voudrais tenter la ventriloquie avec des marionnettes. Elle écoute. Elle dit: “Oui. D’accord.” Elle parle à ses robes, elle a avec elles une relation spirituelle et organique. Sa créativité, sa générosité, sa gentillesse: tout ce qu’elle déploie arrive sur le tissu. A Montmartre, c’est un personnage. Quand elle débarque au marché Saint-Pierre en chantant, c’est comme une reine!»

3/ OLIVIER PY. «C’est mon frère de cœur. Poète, écrivain, metteur en scène, bien sûr, meneur de cabaret, longtemps directeur du Festival d’Avignon, maintenant du Théâtre du Châtelet. D’un lyrisme extraordinaire, il est aussi très engagé dans le social, auprès des jeunes. Il a tous les âges à la fois. Il possède cette capacité à troubler le temps. En passant du très sérieux au très fou, il donne parfois un grand tournis. Je devais jouer une poupée dans un conte d’Hoffmann qu’il mettait en scène. J’apprends que je dois être nue. J’appelle le directeur, qui esquive: “Le mieux, c’est que vous vous expliquiez avec Olivier.” On se rencontre au café, et voici ce qu’il me dit (elle l’imite): “C’est pas compliqué, vous allez descendre nue un escalier. Vous vous appelez Olympia, c’est une métaphore de l’Olympiade Manet.” J’ai songé: “Il n’est pas banal.”»
– Vous l’avez fait?
«Bien sûr. J’avais une résille. La mise en lumière était belle. J’ai pensé: “Bon. Fais un peu de sport quand même”, mais je n’ai pas été gênée. Il a un tel respect. Il vous sublime. Cette résille m’a suivie dans le rôle de Lulu, dans le grand opéra de Berg, un tournant dans ma vie d’artiste. C’est Olivier qui a révélé en moi un côté dramatique. Il faut trouver des visionnaires. Quand on vous offre cette chance, celle de risquer d’être vous-même, vous grimpez la montagne! Notre fidélité, à la vie comme au théâtre, dans les très bons et les très mauvais moments, c’est une aventure humaine rare.»

4/ ANDREA MARCOLONGO. «Un de ses livres m’a illuminé des périodes sombres: La Part du héros, le mythe des Argonautes et le courage d’aimer. Le héros grec est celui qui a su “accepter l’épreuve exigée de tout être humain: celle de ne jamais se trahir”. C’est bien ça, le fond du fond: se chercher, expérimenter, trouver le sens, aller vers l’impossible. Avec Héloïse Gaillard, l’Ensemble Amarillis, le théâtre Le Dôme de Saumur et l’Abbaye royale de Fontevraud, nous avons fondé l’Académie Les Chants d’Ulysse. Elle doit à Andrea Marcolongo son titre et cette idée fondamentale de croire à la singularité des individus. Viser l’excellence, mais dans l’empathie, pas dans la compétition. Se révéler sans se comparer. Cette essayiste est brillante. Elle parle de résistance, de goût du risque: quitter le rivage, risquer le naufrage, passer de l’autre côté, se transformer.»

5/ PRISCILLA TELMON. «J’ai toujours été fascinée par les explorateurs, dont Indiana Jones. Alors une exploratrice! Priscilla Telmon part seule au Tibet, elle gravit l’Himalaya, elle est très engagée, sur tous les fronts. Elle fait des voyages extrêmement solitaires tout en créant un lien assez magique avec des populations défavorisées, en demandant l’hospitalité. C’est beau, de l’entendre raconter. Je suis impressionnée par ce courage, cette ténacité, et toujours cette bienveillance qui éclaire votre journée, attise votre envie d’agir. C’est une très belle femme, avec une intensité du cœur, dans tout ce qu’il a de plus rouge. J’ai un rêve profond : le jour où je ne craindrai plus d’attraper une trachéite ou une laryngite, quand, mes dernières peurs tombées, je serai totalement libre, j’irai dans des contrées très lointaines, en Antarctique ou en Amazonie. Loin de toutes ces notes à retenir, ces fourmis noires sur le papier, ces gruppettos, je vais avoir besoin d’expérimenter le monde autrement avec mon corps, de mordre dans la matière.»

Sabine Euverte

La deuxième édition de l’Académie Les Chants d’Ulysse se déroula à partir du 26 avril. Concert de clôture le 4 mai.

Photographie principale : Bernard Martinez

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