Entretien, sur Zoom, avec un créateur. Lui est à Toulouse, moi à Paris. «Je n’ai jamais été un grand amoureux de Paris. Je suis un garçon du Sud, il me faut du soleil», dit avec humour Pierre-Louis Mascia, connu pour ses fabuleux imprimés et son art de les combiner.
En 2007, vous commencez en créant des foulards…
Pierre-Louis Mascia. A l’époque, dans le marché du foulard, il y avait Hermès, quelques marques de lyonnais, mais pas grand monde d’autre. J’étais illustrateur, je suis passé facilement d’une feuille de papier à une feuille de soie. Petit à petit, on a construit un univers. Aujourd’hui, c’est une marque du prêt-à-porter pour homme et femme et de décoration. Mon idée de départ était de faire un petit Hermès un peu funky.
Le vêtement est venu très vite ?
Un rectangle devient vite une robe. C’est comme si on travaillait sur des saris indiens ; un kimono, ce n’est que des bandes de tissu… Du coup, c’était presque évident.
Ce qui m’a frappée en regardant vos collections, c’est cette idée de métissage…
Les textiles et les imprimés permettent d’aller à la rencontre des cultures. Je viens du bassin méditerranéen, j’ai un père sarde. Je sens bien que, lorsque je fais mes recherches de textiles, du Maghreb à l’Egypte, du golfe Persique à la Grèce, cela parle de notre histoire. J’aime l’idée de traverser le temps.
C’est ce qui rend les collections séduisantes. Elles sont très modernes, mais en même temps on sent qu’elles viennent de très loin.
L’Afghanistan, dont on parle beaucoup en ce moment, et ça me fait mal au cœur ce que j’entends, est un pays de textile, de soie. J’ai envie de faire des hommages, comme le faisait Yves Saint Laurent… en plus modeste. C’est le métier des créatifs d’aller chercher, de déplacer. Le monde, je le vois en couleurs.
Pour chaque collection, vous sélectionnez une quinzaine d’imprimés?
On commence par se raconter des histoires.Très vite viennent les imprimés qui vont définir toute la collection. Ils sont conçus comme des grands collages, des patchworks d’archives, de photos, de graphismes, de poèmes… C’est vraiment comme de la peinture, je mélange des matières, des couleurs et des textures. Ensuite, on les amène chez Achille Pinto, à Côme, en Italie, une des plus belles sociétés d’impression. Là-bas, on digitalise et on fabrique la collection.
Pour cet hiver, vous avez choisi quels imprimés ?
C’est assez fleuri, il y a beaucoup de tentures du XVe et du XVIIe, des bouts de tentures d’Aubusson, des verts, des ocres, des bruns… J’essaye de trouver une balance entre quelque chose de brut et de très sophistiqué. L’idée était de revisiter les néo-hippies, faire un voyage, sans être trop exotique.
Tout en restant totalement moderne.
La modernité, pour moi, n’est pas la technologie. C’est la façon dont on va s’approprier un foulard, une chemise… Les vêtements ont des vies, et plusieurs vies parfois. Chacun peut les réinventer à sa façon. C’est une modernité d’esprit.
Au fond, vous êtes qui ?
Ma mère dit : «un extraterrestre». Je pense que je suis quelqu’un qui cherche. Chercher à être en accord avec les images que j’ai dans la tête.
Vous êtes un voyageur ?
Oui, un saltimbanque aussi. Parce que nous avons des liens. Un livre, une peinture, une sculpture sont des rencontres. Savoir ce que nous racontent des œuvres d’art et savoir comment cela se télescope avec ce qu’on est dans cette vie et la personne qu’on a envie de devenir. J’essaye d’être en cohérence.
Vous avez un discours d’artiste. Vous êtes très loin de la mode.
Je trouve que la mode est jolie quand on oublie la mode. Parce qu’autrement elle peut nous caricaturer. Et je n’aime pas la caricature. Je suis quelqu’un qui aime les nuances : les nuances des couleurs, les nuances des mots, les nuances des émotions.
Vous avez collaboré avec le Musée Galliera.
La collection est sortie en octobre. Nous avons été invités à revisiter leurs archives. Pour nous qui aimons le textile, le XVIIIe est fabuleux . Ce siècle pose déjà les jalons de ce qu’est le luxe aujourd’hui en France et dans le monde.
Dans la campagne de l’hiver, il y a une référence à Jésus avec la couronne d’épines.
Un peu comme une rock star. Je suis quelqu’un d’assez mystique. Je suis chrétien mais je ne fais aucun prosélytisme. Je parlerais plutôt de l’idée du sacrée. Pour moi, il n’y a ni Dieu ni maître. Dieu, c’est nous. Nous sommes bons ou mauvais. Moi, je suis plein de contradictions aussi. Mais, j’apprends à accepter les contradictions.
Propos recueillis par Anne Delalandre
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