Il fallait au moins Euphoria et ses make up créatifs ultra-extravagants pour changer, dans le monde entier et pour toute une génération, la façon de considérer et d’utiliser le maquillage. Euphoria, c’est le teen movie version trash qui a débuté sa carrière en 2019 avec un succès qui n’a cessé d’enfler au fur et à mesure de la diffusion de ses 8 épisodes. Et qui a lancé sa saison 2 très attendue en janvier dernier.
Dans une série où un groupe d’ados mal dans leurs peaux, qui se perdent dans le labyrinthe des réseaux sociaux et se livrent sans retenue à la drogue, au sexe et à l’alcool… ça avait de quoi piquer la curiosité. Quelques épisodes plus tard, nous ne sommes pas loin d’une véritable l’addiction…
Produit par le rappeur Drake, réalisé par Sam Levinson, Euphoria est la série qui a élevé la jeune actrice Zendaya au rang d’icône et propulsé la chef de l’équipe maquillage, Doniella Davy (également connue sous le nom de Donni), au plus haut niveau de la notoriété, avec, au passage, un Emmy Awards maquillage contemporain exceptionnel en 2020 : «Sam Levinson, le réalisateur, ne voulait pas d’un maquillage unique par protagoniste, qui limite son caractère et définisse définitivement sa personnalité. Au contraire, il souhaitait que chaque make up accompagne une situation et révèle les sentiments profonds du personnage au moment où il les traverse. Le make up est comme un message subliminal qui joue un rôle dans l’histoire. A un moment, le père de Jules lui demande si elle a raison de fréquenter son amie Rue (Zendaya). Jules (jouée par l’actrice Hunter Schafer), un peu paumée, ne répond pas. Et son maquillage souligne son hésitation par trois points tracés finement côte à côte, sous les yeux, comme trois points de suspension…»
«C’est une histoire cinématographique, a déclaré Sam Levinson. Donni connaît la scène, les éclairages, et s’efforce d’illustrer ce qui n’est pas dit… Sur Euphoria, elle a traduit l’émotion intérieure des personnages en une palette expressive.»
«Je prends vraiment en considération ce que ces filles ressentent pour leurs personnages, insiste Doniella Davy. Elles sont jeunes, elles sont vraiment à la mode, ce sont des jeunes femmes étonnantes. Elles sont très à la page. Elles savent ce qu’elles aiment et surtout ce qu’elles n’aiment pas. Alors, elles viennent avec des idées.» Hunter Schafer raconte sa collaboration avec la maquilleuse pour le look du bal de fin d’année de son personnage. «Donni et moi avons discuté de la possibilité de montrer une nouvelle facette de Jules dans l’épisode 8, en espérant qu’on y retrouve l’énergie de l’épisode 7. Le look de Jules pour le bal de fin d’année est un peu plus dur esthétiquement que la plupart de ses looks précédents, ce qui peut être largement attribué à ces incroyables autocollants métalliques que Donni a trouvés, et au rouge autour de ses yeux. Je pense que nous voulions tous les deux donner l’impression que Jules explorait un nouveau sens de l’androgynie, de l’homosexualité, et peut-être un peu de colère…»
Sam Levinson, a été étonné de voir comment Doniella Davy s’est adaptée à l’éclairage sombre et coloré que lui et le directeur de la photographie, Marcell Rév, ont mis en œuvre pour Euphoria : «Je pense que ce qui est impressionnant dans le travail de Donni, c’est qu’elle est capable d’utiliser notre éclairage au profit des personnages.» La maquilleuse a remplacé les maquillages colorés par des néons et des couleurs très pigmentées et a considérablement augmenté l’utilisation de paillettes, de strass et d’autocollants métalliques. La façon dont l’éclairage et le maquillage interagissent est étonnante. L’un des exemples préférés de Levinson se trouve dans l’épisode 4, lorsque Jules (Hunter Schafer) applique un maquillage irisé à Rue (Zendaya) alors que les deux amies sont allongées dans leur lit. «Chaque fois que Rue bouge, la lumière la frappe sous un autre angle, et on a l’impression que l’univers tourbillonne autour de son visage», explique Levinson.
Pour Euphoria, le réalisateur voulait que la chef maquilleuse crée des tendances en matière de maquillage, plutôt que de les recopier. En s’inspirant d’une photo des années 1960 de Nina Simone avec des strass autour des yeux, ou en exploitant les pages Instagram personnelles de jeunes filles de la génération Z. C’est comme ça que les strass, le glitter, les paillettes, les tons néons, les ombres colorblock et les petits nuages graphiques dessinés d’un trait de liner ont fait leur apparition dans la rue, et pas seulement la nuit, et pas seulement quand il s’agit d’aller s’éclater en soirée. Et c’est aussi comme ça que le hashtag #euphoria a donné lieu à des millions de posts, et à presque autant de tutos. Même s’il s’agit simplement de troquer son eye-liner noir pour un bleu pétant ou un vert fluo, même si on se contente d’upgrader son ombre à paupière tristement grise par une poudre dorée, le maquillage est soudain devenu le moyen de se storyteller.
Les marques de maquillage, des plus créatives aux plus classiques, ont bien sûr compris le mouvement et l’ont accompagné. Chez Guerlain, le Constrast Shadow Duo, avec deux embouts et deux effets, l’un classique, l’autre irisé, permet de surjouer le regard avec autant d’audace que de subtilité. Chez Chanel, les Stylos Yeux Waterproof, dans des teintes irisées irrésistibles, notamment le Bleu Métal et le Khaki Métal, soulignent l’œil d’un flash qui se remarque ; à signaler aussi, dans la collection estivale La Pausa, l’Ombre Première Laque, d’un beige doré métallisé ultra-chic. Et puis il y a chez Clarins l’Ombre 4Couleurs, en plusieurs harmonies, dont toujours au moins une teinte nacrée, et l’incroyable Ombre Scintillante Gold Diamond, hyperpigmentée et longue tenue. Chez Charlotte Tilbury, l’Eye Colour Magic Liner Duo, en super blue, pour son effet saphir. Et bien sûr, chez Dior, le Dior on Stage Liner, un liner feutre ultra-souple, pour recréer chez soi le look des défilés, en blanc notamment, mais aussi en pink, en yellow, en pearly turquoise, en pop green. Chez Saint Laurent, le mascara effet faux cils en fascinating violet et extreme blue, chez Shiseido, les MascarInk Chaos Contrôle, en emerald energy, sapphire spark et violet vibe… Et, pour permettre à celles qui n’ont pas la dextérité des make up artists de plateau, Donni Davy a signé une collab avec Face.Lace : strass autoadhésifs et liners autocollants au design spectaculaire, pour des yeux hologrammes carrossés de métal.
La mode, elle aussi, s’est emballée pour la tendance sur ses défilés, quitte à surenchérir. Chez Giambattista Valli, les yeux sont cerclés de strass ; chez Marni, le regard est étiré jusqu’aux tempes au liner ; chez Fendi, des sequins étincelants envahissent l’ensemble du visage ; et aussi chez Schiaparelli, chez Chanel, chez Gaultier… Et sous la signature des plus grands, Isamaya Ffrench, Pat MacGrath, Peter Philips…
La diffusion de la saison 2 de la série depuis janvier dernier n’a fait que confirmer le pouvoir d’Euphoria comme boosteuse de tendance. Même si, pour Donni Davi : «Le make up de la saison 2 est la petite sœur introvertie de la saison 1.» Plus sobre, plus subtile, mais pas moins étudiée, ni moins réfléchie.
Et, bonne nouvelle, les ongles viennent en renfort, avec des manucures fantasques réalisées par Natalie Minerva, sur faux ongles adhésifs, avec une virtuosité, une application et un sens artistique qui tiennent de la peinture sur miniature. Et font naître de nouveaux désirs.
Ellen Willer
Photographie principale : 2022 Home Box Office.
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