Elle est depuis plus de vingt ans la «petite fiancée de l’Amérique», et l’on pourrait s’arrêter à son minois frondeur. Mais dans tous ses rôles, de celui d’Elle Woods dans La Revanche d’une blonde, qu’elle s’apprête à reprendre dans une suite attendue, à celui de June Carter dans Walk the Line, qui lui a valu un Oscar, sa puissance de jeu force l’admiration. A l’affiche de la série d’Apple TV+ The Morning Show, un pur régal post-MeToo, et en préparation de la troisième saison du non moins addictif Big Little Lies, Reese Witherspoon, de plus en plus belle, épanouie, rayonnante, est aussi devenue la chef de file exemplaire du nouvel Hollywood au féminin. Le nom de sa société ? Hello Sunshine.
Votre parcours à Hollywood a quelque chose du «triomphe d’une blonde» !
Reese Witherspoon. Je ne me serais jamais crue capable de devenir une femme d’affaires… Moi, je voulais juste mener correctement ma carrière en produisant moi-même un projet… C’est ainsi que j’ai monté ma propre maison de production et que je l’ai élargie à ce qui est devenu Hello Sunshine, un site de médias dédié aux femmes. Je n’en pouvais plus des rôles ingrats pour les actrices. Le seul moyen de faire du boulot intéressant a été de devenir productrice. Mais j’ai d’abord été poussée par des copines. Je n’y serais pas arrivée toute seule.
Vous faites partie des actrices superstars qui prennent leur carrière en main et encouragent les femmes à en faire autant, révolutionnant au passage le paysage hollywoodien.
R.W. Il a fallu Time’s Up pour secouer l’industrie du divertissement en particulier et le monde du travail en général. Natalie Portman, Charlize Theron, Margot Robbie, Scarlett Johansson, Kerry Washington, Nicole Kidman, avec qui je produis la série Big Little Lies… nous avons toutes compris qu’il fallait pousser un cri pour faire avancer les choses. «Ce que vous ne réalisez pas, c’est que vous n’avez déjà plus le pouvoir», dit Jennifer Aniston à une pièce remplie d’hommes dans The Morning Show. Les femmes, sous couvert d’empathie, pensent souvent à elles en second. Le pouvoir, on ne vous le donne jamais, il faut le prendre. Surtout si, comme moi, vous avez 43 ans et trois enfants. Croyez-moi, la mère de famille n’est pas le profil type recherché. Alors, c’est à vous de prendre les rênes. Combien de rôles prévus au départ pour une femme, et réécrits au final pour un acteur ! Désormais, on observe le phénomène inverse. Mais il s’agit moins d’une revanche ou du triomphe des femmes que d’équilibrer la balance. «Fifty-fifty» est ma devise.
Dans The Morning Show, que vous interprétez et coproduisez avec Jennifer Aniston, vous campez Bradley, une journaliste provinciale impétueuse qui prend la place d’un présentateur de matinale accusé de harcèlement sexuel.
R.W. Jennifer et moi étions amies avant de jouer deux sœurs dans Friends. Nous avons en quelque sorte grandi ensemble à Hollywood, et nous savions bien tout ce qui se passait dans le milieu de la télévision, le sexisme, les femmes moins payées, sujettes à des tests sur leur physique (auxquels n’étaient pas soumis les hommes) et jetées lorsqu’elles devenaient trop «âgées». Mais lorsque le livre de Michael Ellenberg qui a inspiré The Morning Show a été acheté par Apple TV+, et nous a été envoyé, c’était encore l’ère pré-MeeToo. Et puis #MeeToo est survenu, et j’ai discuté longuement avec «Jen» du féminisme, du fait d’être la seule femme dans un milieu d’hommes, mais aussi de la «désorientation» des hommes après la révélation de tous les scandales tombés les uns après les autres, plus personne ne sachant comment se comporter. The Morning Show a alors été réécrit pour s’ancrer dans l’actualité.
Vos personnages de présentatrices ne sont pas parfaits…
R.W. Dieu merci, non ! Dans The Morning Show, Jennifer Aniston et moi présentons une matinale en duo et nous nous crêpons beaucoup le chignon. Il y a une scène où nous sommes saoules et où nous nous insultons en hurlant, qui était particulièrement géniale à jouer. (Rires)
Vous êtes-vous inspirée de journalistes de télévision ?
R.W. Ce qui m’intéressait le plus était d’interpréter une fille conservatrice qui croit encore au pouvoir de la vérité dans un monde où la presse est plus nécessaire que jamais et pourtant plus décriée que jamais. Je me sens proche de Bradley, car j’ai toujours aimé avoir plusieurs points de vue sur l’actualité. Sans doute parce que si je vis dans l’environnement libéral d’Hollywood, je viens du Tennessee, un lieu plutôt conservateur. Pour la préparation du rôle, on nous a demandé à Jennifer et moi de conduire en tandem de vraies interviews télévisées, et j’étais très nerveuse, d’autant que Jennifer est arrivée avec un timbre de présentatrice de télévision absolument parfait. Mais enfin, d’où sortait-elle cette voix ? Du coup, je l’ai juste copiée ! (Rires)
Quel est votre rituel du matin ?
R.W. Je prends principalement mes infos sur Tweeter, pas à la télévision. Et le personnage de Jennifer Aniston dans The Morning Show : lever 5 h 30, Red Bull-café et gym avant d’aller au bureau… en fait, c’est plutôt moi ! (Rires)
La donne a-t-elle vraiment changé à Hollywood ?
R.W. J’ai assisté dans ma carrière à tant de réunions dans les studios où les «exécutifs» étaient fiers d’eux parce qu’ils avaient un seul film au féminin pour remplir le quota, des réunions où je devais me survendre, me défendre : je peux vous affirmer que les choses changent ! Mais il faut sans cesse se battre. Tenez, on ne reproche jamais à George Clooney d’avoir fait fortune avec sa téquila, ou Mark Wahlberg avec sa chaîne de restaurants de hamburgers. Mais si Jennifer Aniston et moi acceptons de gros salaires pour The Morning Show, on crie aux sorcières ! Ces salaires, aujourd’hui, symbolisent le pouvoir féminin à Hollywood et nous permettent de porter plus de rôles pour les filles à l’écran !
Propos recueillis par Juliette Michaud.
Photographie Mark Mann.
«The Morning Show», série américaine de Kerry Ehrin (2019), avec Jennifer Aniston, Reese Witherspoon… Saison 1 : 10 épisodes de 50 à 67 minutes, à voir sur Apple TV+.
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