«J’ai retrouvé l’appétit de jouer»
Renée Zellweger, c’est Bridget Jones, bien sûr, mais aussi une filmographie riche des grands films phares des années 2000, couronnée par un Oscar du meilleur second rôle dans Cold Mountain (2003) d’Anthony Minghella. De 2010 à 2016, pourtant, cette lumineuse actrice texane s’était retirée des caméras, épuisée par Hollywood. La voir se fondre dans le corps et l’âme de la légendaire Judy Garland, dans son nouveau film, Judy, n’en est que plus émouvant. Mis en scène par le réalisateur de théâtre anglais Rupert Goold, Judy se déroule en 1969, alors que Judy Garland, 46 ans, fauchée, au bout du rouleau, accepte de «cachetonner» dans le night-club Talk of the Town à Londres. Garland boit, avale des barbituriques, se marie sur un coup de tête, insulte son public, se fait huer… Ce n’est pas juste la transformation physique de Renée Zellweger qui appelle l’Oscar, mais sa façon de s’enrouler dans le long fil de son micro, nous implorant du regard, chantant de tout son cœur sans doublage et en direct… A 50 ans, Renée is reborn, et c’est toute joyeuse, avec sa longue queue-de-cheval blonde et son humour d’autodérision, qu’elle nous reçoit. Et nous parle de son come-back.
Avez-vous été surprise que l’on vous propose d’incarner Judy Garland ?
Renée Zellweger. Très. Avec même l’impulsion de refuser. Mon parcours est tellement éloigné de celui de Judy Garland : je n’ai jamais connu ses traumatismes émotionnels ; j’ai eu une enfance sereine au sein d’une famille très unie ; je ne lui ressemble pas… et je ne suis pas chanteuse. Mais Judy Garland est une légende, et j’aime tellement ses chansons et la musique en général… j’ai accepté. Rupert Goold m’a invitée à Londres et m’a expliqué qu’il avait vu dans certains de mes rôles des qualités très proches de celles de Garland : la vulnérabilité dans Jerry Maguire ; le bagout dans Cold Mountain ; le peps show-biz dans Chicago. Il m’a passé beaucoup de pommade, quoi. (Rires) Tout en parlant, il a suggéré qu’on essaie deux ou trois choses, que j’enregistre à Abbey Road – par exemple, juste ça ! (Rires) – pour voir si l’idée que je sois Judy Garland était crédible ou non. C’est ainsi que tout a commencé, juste en essayant des «trucs» : nous avons continué à «essayer»… jusqu’à ce que le film soit terminé.
Alors, comment êtes-vous devenue Judy Garland ?
R.Z. Quelques heures de maquillage et de mise en place chaque matin. La perruque, les prosthétiques dans les joues, les lentilles noires que je n’avais pas le droit de mettre moi-même, un gars à grosses paluches et son équipe s’en chargeaient… pendant que retentissait le son du piano des répétitions. Plus je m’éloignais de ce à quoi je ressemble, plus j’entrais dans la peau de Judy Garland sans même m’en apercevoir. J’ai bien sûr aussi fait des tonnes de recherches. J’ai lu toutes les bios et je suis tombée dans le trou de lapin de YouTube en creusant pour trouver toutes les archives possibles sur elle. Je suis allée sur les sites de fans, j’ai exploré tous les enregistrements, parfois issus de collections privées. La gestuelle de Judy Garland était cruciale. Elle était très physique, les épaules en avant, son jeu de jambes, et ce fabuleux truc de scène avec le fil de son micro… Comme un dompteur de lions. Fantastique ! Tenir un micro me manque depuis la fin du tournage : c’était comme un filet de sécurité.
Comme vous, Judy Garland était très menue.
R.Z. Encore bien plus que moi, même si je ne pense jamais à elle en termes de «petite», tant une vraie puissance émanait d’elle. Judy Garland était tellement en avance sur son temps, elle avait eu sa propre émission de télévision, elle en remontrait aux hommes. Mais les studios, qui l’avait forcée à prendre des drogues dès son adolescence pour mieux exploiter ses talents et pour qu’elle reste pour toujours l’héroïne du Magicien d’Oz, l’avait détraquée et sapé à jamais sa confiance en soi. Elle est partie à 47 ans, loin de ses enfants. C’est un destin tragique qui me touche profondément.
Vous chantez vraiment dans le film. Même le mythique Over the Rainbow.
R.Z. Le film se déroule pendant les derniers mois de sa vie, alors que sa voix suppliait qu’on lui prête vraiment l’oreille. Mais personne ne l’écoutait. Judy Garland avait une voix d’or en chantant, mais personne ne l’écoutait quand elle parlait. Incarner cette émotion, ces rêves brisés, alors que la chanson Over the Rainbow évoque justement l’espoir et les rêves de l’enfance, me paraissait possible. C’est un travail d’actrice. Quant à chanter en direct devant un public, même de merveilleux figurants indulgents, c’était terrifiant. Car si j’ai un peu chanté au cinéma, dans Chicago ou dans Down With Love avec Ewan McGreggor, vous pouvez vérifier avec mes chiens : chez moi, lorsque je me mets au piano en poussant la chansonnette, ils ont vraiment l’air très dubitatifs ! (Rires) J’ai donc relevé le défi, comme une étudiante, en travaillant beaucoup avec un coach pour que mon corps et ma voix se décoincent. C’est très cathartique de chanter. En gros, j’ai fait comme si je savais chanter. (Rires)
Ce rôle marque votre grand retour à l’écran, alors que vous vous étiez volontairement retirée pendant presque une décennie…
R.Z. (Elle réfléchit) Si je m’étais arrêtée, notamment sur les conseils de mon amie Salma Hayek, qui m’avait vue sur les rotules, c’est que j’avais enchaîné trop de projets sans jamais prendre la peine de me ressourcer… J’étais fatiguée du son de ma propre voix. Et puis la valeur d’une femme à Hollywood se mesure tellement à son apparence physique. «Elle est trop maigre, trop grosse, elle a vieilli, elle était mieux avant, il paraît qu’elle s’est fait faire un lifting, elle a un gros ventre… à moins qu’elle soit enceinte.» A un moment, prendre de la distance devient une question de survie. Cette période sombre est derrière moi, j’ai une autre perspective, j’ai retrouvé l’appétit de jouer, je suis heureuse, avide d’inconnu… Comme si cette cinquantaine redoutée était en fait une porte ouverte sur de nouvelles aventures et plus de bonheur. J’ai la délicieuse impression d’être à nouveau une débutante.
Propos recueillis par Juliette Michaud.
Photographie Ryan Pfluger
«Judy», de Rupert Goold, avec Renée Zellweger, sortie le 26 février.
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