Ruslan Baginskiy est un créateur ukrainien, il vit à Lviv, au milieu de la guerre et des bombes. Ses chapeaux ont envahi la planète mode et sont portés par de nombreuses stars dans le monde : c’est lui qui a créé le large chapeau que porte Beyoncé au cours de sa tourne mondiale Renaissance World Tour. Rencontre.
Où travaillez-vous ?
Ruslan Baginskiy. Je vis actuellement en Ukraine, à Lviv, ma ville natale, où sont situés nos bureaux et notre production. Toute l’équipe et moi-même étions basés dans la capitale, Kiev, mais, à cause de l’invasion russe, nous avons dû relocaliser tout notre personnel, leurs familles et tout notre équipement.
Pourquoi avez-vous choisi de créer des chapeaux ?
Les chapeaux m’ont toujours fasciné par leur capacité à transformer une tenue et à changer la silhouette. Quand j’ai commencé à travailler comme styliste, je ne trouvais pas de couvre-chefs que j’aimais porter, donc j’ai décidé de faire le mien. Nous n’avons pas d’écoles de chapellerie en Ukraine, comme on en trouve au Royaume-Uni ou en France, j’ai dû apprendre par moi-même, en analysant des chapeaux vintage, parfois sur YouTube, dans un long processus d’essais et d’erreurs…
Comment parvenez-vous à maintenir la production en Ukraine ?
Nous sommes constamment attaqués physiquement et mentalement : le moral de l’équipe, les pannes de courant, les explosions, les nuits blanches… Nous avons dû repenser qui nous sommes, trouver la force et la motivation d’aller de l’avant. Cinquante personnes travaillent en Ukraine pour notre production. Il est essentiel pour moi de soutenir l’artisanat local et d’offrir des opportunités aux artisans talentueux. Ce sont eux qui sont derrière notre étiquette «Made in Ukraine» apposée sur chaque article que nous créons.
Votre culture ukrainienne est une source d’inspiration ?
Les traditions riches et le folklore de l’Ukraine se retrouvent dans mes créations, elles montrent la beauté de notre patrimoine. L’Ukraine a toujours été entre l’Est et l’Ouest, une terre où les deux se rejoignent. Il y a des choses uniques dans notre culture, nous essayons de les faire partager au monde entier.
Quels sont vos matériaux préférés ?
J’aime travailler avec de la paille. C’est tellement tactile, et cela signifie pour moi l’été éternel. Mais, bien sûr, il y a beaucoup d’autres excellents matériaux. Pour le premier bijou Skarby :Treasures, qui vient de sortir en septembre, j’ai travaillé avec un matériau très nouveau : les perles. Les ornements perlés font partie du costume national ukrainien, j’ai voulu les remettre au goût du jour.
Vous avez aussi une collection couture ?
J’ai dédié les deux collections couture à la tradition ukrainienne : la première, Stozhary (étoiles), et la seconde, Tsvit (fleur), réinterprètent les techniques traditionnelles ukrainiennes. Nous avons par exemple utilisé une technique artisanale de fabrication de fleurs, généralement utilisée sur des tissus, en travaillant avec du plastique recyclé. Les bouteilles trouvées sur les plages de la mer Noire sont devenues des fleurs sur une couronne haute couture. C’est excitant, de voir comment les techniques peuvent donner de la valeur aux matériaux les plus ordinaires. Je veux créer des choses qui racontent une histoire, et la couture est l’un des moyens les plus puissants pour le faire.
Suivez-vous les tendances de la mode ?
Je ne suis pas la tendance. Je pense que les tendances flottent dans l’air, elles reflètent de petits changements que chacun ressent. Mais, pour moi, elles sont plus une conséquence qu’un point de départ.
La culture des chapeaux en ville a presque disparu. Vous voulez lui redonner ses lettres de noblesse ?
Le rôle du couvre-chef a définitivement changé, mais certaines vérités demeurent les mêmes : les chapeaux sont un accessoire puissant qui ajoute du caractère, ils peuvent inspirer les gens à être audacieux ou s’amuser avec style.
Vous avez déjà beaucoup de fans : Madonna, Bella et Gigi Hadid, Kaia Gerber, Taylor Swift, Pamela Anderson, Miley Cyrus, Alicia Keys… sont des «RB Girls». Comment expliquez-vous ce succès ?
Dès le début, j’ai mis mon cœur dans mes créations, ainsi que beaucoup de travail. Le directeur des relations publiques et cofondateur de la marque, Petro Yasinsky, l’a fait également. Nous avons, avec persévérance, saisi chaque opportunité et frappé à toutes les portes. Aujourd’hui, le soutien d’artistes et de créatifs incroyables me donne, à moi et à l’équipe,
un sentiment d’épanouissement et de joie. Au fond, il s’agit d’apporter de la joie au monde, peu importe qui peut être le vecteur.
Vous avez conçu les chapeaux de Beyoncé pour son Renaissance World Tour…
Nous avons dû créer des pièces en accord avec les incroyables mises en scène du spectacle. Les chapeaux devaient être super légers et résistants. Grâce à nos efforts, il semble que nous sommes arrivés aux chapeaux parfaits, et je suis très honoré de
les voir apparaître chaque soir de concert : un rêve devenu réalité pour moi.
Envisagez-vous d’ouvrir une boutique à Paris ?
Oui, c’est un plan pour le futur proche ! Nous y travaillons lentement mais sûrement. C’est un rêve d’être présent dans une ville célèbre pour sa mode et son art.
En pleine guerre, pensez-vous que la création soit un acte de résistance ?
La création est certainement notre acte de résistance. La création au milieu de la destruction, quand tout autour de vous est remis en question et que les murs s’écroulent, est l’une des choses les plus difficiles mais aussi la chose la plus positive que l’on puisse faire. Vous devez retrousser vos manches et agir, mais, une fois qu’on s’y met, on comprend que nous sommes tous encore là. La lutte est en cours.
Propos recueillis par Anne Delalandre
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