Bien avant de s’envoler en légendaire Marina Loiseau, Sara Giraudeau fut un oisillon. Autour d’elle plane aujourd’hui comme un charme, une grâce. Parmi les gens qu’elle aime, certains ont participé à ses transformations. En eux, elle a puisé juste ce qu’il faut de profondeur, de force et de délicatesse ; de mélancolie et de rire.
1 / DANIEL BALAVOINE. «Il fait partie de ces artistes que j’aurais souhaité rencontrer, voir sur scène. Il est mort quelques mois après ma naissance. Pourtant, il était vraiment vivant, dans ma vie d’enfant, d’adolescente. Sa tessiture incroyable éveillait en moi des émotions comme très peu de chanteurs. Il y avait Cat Stevens et Daniel Balavoine. Deux voix auxquelles je trouvais du caractère, un savant mélange entre le doux et le sanguin que je portais peut-être en moi. Je pouvais pleurer seule dans mon lit en l’écoutant le soir… Plus grande, je suis tombée sur ses coups de gueule et j’ai été charmée par son don oratoire, le courage avec lequel il utilisait sa notoriété pour bousculer les politiques. Face à Mitterrand – qui l’écoutait attentivement –, il parlait de la jeunesse perdue, de ce dont les gens, le peuple, avaient besoin. Ça faisait du bien.»
2 / PASCALE BORDET. «J’ai eu la chance immense de la rencontrer comme costumière à mes débuts, sur Colombe, une pièce de Jean Anouilh. Pour moi, c’était une des dernières artistes. Elle possédait ce savoir-faire artisanal, ces multi-talents qui constituent un métier, du coup de crayon jusqu’au dernier ourlet. Elle plaçait sous nos yeux des dessins extraordinaires, et chaque aquarelle était une œuvre d’art. Elle coupait des bouts de tissu, comme une petite fille, et vous voyiez le personnage éclore… J’ai monté l’an dernier ma première mise en scène, Le Syndrome de l’oiseau. On a fait un travail merveilleux, au plus près des deux personnages. Elle est devenue mon amie intime. Jusqu’en répétition, elle recousait un bouton, me tricotait une petite besace. Tombée malade avant la première, elle est morte peu après… Le Lucernaire expose ses Bestioles de théâtre jusqu’en janvier. Elle peignait les acteurs de théâtre comme des animaux étranges. C’était beau et drôle. Toujours habillée tout en blanc, elle se dessinait en petite rate. C’était la petite rate blanche, et moi, j’étais son petit oiseau.»
3 / JEAN PÉRIMONY. «Mon professeur de théâtre. C’est d’abord une voix, celle des “grands maîtres” qui vous disent les deux-trois choses qui vous suivront toute votre vie : “Sois patiente”, “Ecoute l’autre, si tu écoutes ton partenaire, tu sauras lui répondre”, “Ce que tu considères comme un défaut deviendra ton atout”. Quand, toute ton adolescence, on a imité ta petite voix en pépiant, et que soudain on doit t’entendre du fond d’une salle, tu es bloquée. Jean m’a tout de suite fait entrer dans une optique d’acceptation de cette voix que j’avais envie de changer. La profonde confiance qu’il a eue en moi, presque celle d’un grand-père, m’a rassurée.»
4 / L’ÉQUIPE DU SPLENDID. «Avec les Inconnus, ils ont bercé mon enfance dans le rire, la comédie, dans ce qui me faisait du bien. J’ai grandi avec ces groupes de comédiens. Je trouvais extrêmement vivifiantes l’invention de personnages, la rythmique avec le partenaire. Cette approche du métier me manque beaucoup. Je n’ai jamais été fan du stand-up. Je suis déstabilisée par cette époque du “moi tout seul”. On y perd la dimension de créer et de s’amuser ensemble. J’aurais adoré rencontrer des âmes sœurs dans le jeu, qu’on se dise : “On monte un groupe !” Aujourd’hui, mes filles connaissent cent films. Nous, on regardait les mêmes en boucle. Moi, c’était Polanski et le Splendid, Le Bal des vampires et Les bronzés font du ski.»
5 / PATRICK DEWAERE. «Lui aussi était mort, mais il a été presque une première histoire d’amour. Je le trouvais profondément beau, il avait un physique, une nature ! Encore cette alliance détonante de feu et de fragilité, et une profonde sincérité dans le jeu. Je me disais : “C’est comme ça que je voudrais jouer.” Du drame à la comédie, de Série noire à Coup de tête, ce qu’il avait trouvé, c’est une manière de dire les choses les plus banales de la façon la plus particulière. Il a été un vrai révélateur à ce niveau-là. Il m’a amenée à aller chercher en moi et à porter cette singularité qui va toucher le cœur des gens, rejoindre la vérité de l’humain là où elle se cache. En n’oubliant jamais cette petite candeur, cette petite perdition d’enfant qui est la base de toute l’humanité.»
– Il paraît que c’est grâce à son frère Dominique que tes parents se sont rencontrés. Il jouait une pièce avec ta mère et avait demandé à ton père de le remplacer.
– «Ah ? Je ne savais pas… Plus tard, ma mère a tourné avec Patrick… Moi, j’aurais adoré. Ce sont des gens avec lesquels vous apprenez, sans qu’ils en sachent rien.»
6 / VIVALDI. «Comme Patrick Dewaere, il a participé à agrandir mon monde émotionnel. Quand mes parents se sont séparés, j’allais peu chez mon père. C’est lui qui m’a fait découvrir Vivaldi. Il mettait sa musique dans le salon et je me faisais happer par cette grandeur d’âme, cette élégance qui vous surpasse. Bien que je sois profondément athée, il éveille en moi des sensations christiques, une espèce de foi, une élévation. La perte d’êtres très chers dans votre première partie de vie creuse un besoin. Vivaldi me nourrit de ces émotions-là. Il me donne envie de raconter des histoires à la hauteur de ce grandiose. Je rêve de films d’époque avec Vivaldi, je voudrais monter un Shakespeare au théâtre sur sa musique.»
Dans le café parisien où je l’enregistre, juste à côté de nous, de jeunes touristes se sont mises à parler très fort. Sara fait mine de s’exalter à leur intention : «Vivaldi, c’est la grandeur, les émotions, le christique ! C’est ce qui nous fait quitter la vie. Quitter cette vie ! Aller vers le beau ! » Les filles s’étonnent. Sara sourit.
Marina Loiseau est le nom de son personnage dans «Le Bureau des légendes».
«Le Syndrome de l’oiseau», reprise au Théâtre de la Porte Saint-Martin du 23 janvier au 13 avril.
«Bestioles de théâtre» au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris VIe.
Sabine Euverte
Photographie principale : © Dorian d’Amore
A lire aussi : Bradley Cooper: «OK, il y a des jours où je me trouve pas mal, mais je peux me sentir carrément moche devant un miroir»