« Nous les femmes, nous avons fait évoluer les mentalités. Et nous allons continuer !»
L’actrice la mieux payée d’Hollywood arrive par une porte dérobée de l’hôtel Four Seasons de Beverly Hills où nous l’attendons. Tout sourire, jean délavé, top ajusté, radieuse sous sa chevelure blonde, simple, spontanée, mais toujours débordante de sensualité. L’image même d’une superstar. A 35 ans, fiancée au comique Colin Jost, rencontré sur l’émission culte Saturday Night Live, Scarlett Johansson continue sa trajectoire de super-héroïne. Et pas seulement parce qu’elle représente le girl power à Hollywood, et qu’elle a déjà joué dans neuf films Marvel, dont La Veuve noire que l’on découvrira l’an prochain. Le 6 décembre, on la verra sur Netflix dans Marriage Story de Noah Baumach, en plein divorce avec Adam Driver, et début janvier sur nos écrans dans Jojo Rabbit de Taika Waititi, une satire sur Hitler… deux formidables films d’auteur dans lesquels Scarlett Johansson montre tous ses talents d’actrice.
Dans Marriage Story et Jojo Rabbit, vous jouez, pour la première fois, une maman à l’écran. Avez-vous le sentiment d’aborder une nouvelle phase de votre carrière ?
Scarlett Johansson. Demandez à ma mère ! En voyant Marriage Story, elle s’est exclamée : «Tu es enfin une femme !» Que j’aie accouché cinq ans plus tôt, apparemment, n’était pas suffisant pour elle ! (Rires) J’ai commencé enfant devant les caméras et j’ai toujours voulu être actrice, mais j’ai du mal moi-même à croire que je fais ce métier depuis vingt-cinq ans ! J’ai maintenant une adorable petite fille de 5 ans, le moment était venu pour moi de jouer une mère.
Quels sont vos souvenirs d’enfant star ?
S.J. Je me revois tourner L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux avec Robert Redford, et comprendre ce qu’était vraiment le métier d’acteur. Le plus difficile, gamine, était d’être séparée longtemps de ma famille. Mon frère jumeau, surtout, me manquait énormément. Mais j’ai eu une vie passionnante. Sur le plan artistique, j’ai eu des révélations et des déceptions. J’ai fait des films qui, je pensais, trouveraient un public et ont été des échecs, d’autres auxquels je croyais moins, qui ont séduit le public… J’ai eu des hauts exaltants et des bas où je sombrais dans le désespoir… Aujourd’hui, j’ai toujours autant de doutes à la fin d’une journée de tournage, mais je sais qu’on ne s’écrase pas avec les vagues. Il suffit de pagayer pour retrouver une nouvelle vague, et savoir attendre… Comme vous l’aurez compris, mon fiancé est surfeur ! (Rires) En ce moment, je suis vraiment heureuse, soudain tout se recoupe, ma vie et ma carrière, tout est en harmonie.
Trouver des projets en dehors de l’univers Marvel est important ?
S.J. Au départ, c’est moi qui voulais faire partie de l’univers Marvel ! Je suis donc heureuse d’enchaîner ces films qui nécessitent un entraînement d’athlète et m’obligent à rester en super forme physique. (Rires) Là aussi, tout s’est enchaîné naturellement. Entre-temps, le mouvement Time’s Up a pris de l’ampleur, les personnages féminins des Marvel peuvent maintenant avoir leur film solo et, qui sait, bientôt, un film qu’avec des filles… Mais surtout, connaître un tel succès avec ces films me donne la liberté de choisir des projets plus risqués.
Comment vous êtes-vous retrouvée dans le petit rôle de la mère dans Jojo Rabbit ?
S.J. C’est justement un gars des Marvel, Chris Hemsworth, qui venait de terminer le tournage de Thor : Ragnarok sous la direction de Taika Waititi, qui m’a conseillé de lire un scénario de Taika intitulé Jojo Rabbit. Il avait raison, le scénario était formidable, l’un des plus originaux que j’aie jamais lus – et j’en ai lu un certain nombre ! –, un régal d’audace et de bouffonnerie, de candeur et d’humanisme. C’est l’histoire improbable d’un petit garçon enrôlé dans un camp nazi pendant la Seconde Guerre mondiale, qui a pour ami imaginaire Hitler, et une maman résistante et pleine d’esprit qui l’élève seule. Il faut signaler que Taika Waititi, qui est juif néo-zélandais, joue Hitler de façon hilarante dans le film !
Bizarre, d’être dirigée par un type costumé en Hitler !
S.J. C’est terrifiant. (Rires) Mais nous avons tellement ri pendant ce tournage. Alors qu’il n’était pas évident au départ de pouvoir rire avec un tel sujet. Je suis juive par ma mère, et, comme Taika, j’ai fait l’expérience de l’absurde et odieux antisémitisme, qui est hélas toujours bien vivant. Participer à une satire aussi gonflée sur l’intolérance, alors que mon pays est dirigé par un président dénué de compassion et paranoïaque, et que le monde semble régresser… je voulais en être. Pour l’anecdote, Taika avait pensé au début à demander à Chris Hemsworth de jouer Hitler, mais il a changé d’avis en disant qu’il n’arriverait jamais à l’enlaidir.
Vous êtes d’accord ?
S.J. No comment. Chris Hemsworth est tellement beau, il n’a pas besoin de plus de compliments de ma part ! (Rires)
Dans Marriage Story vous puisez plus encore dans votre expérience, puisque vous jouez une actrice en plein divorce, alors que vous traversez vous-même un divorce quand Noah Baumbach vous offre le rôle.
S.J. Noah ignorait que je traversais une crise personnelle. Quand je le lui ai dit, il a pensé que j’allais refuser. Le scénario est «multi-autobioraphique» : Noah était marié à l’actrice Jennifer Jason Leigh ; j’ai été marié deux fois (à l’acteur Ryan Reynolds, puis avec le Français Romain Dauriac) ; Adam Driver avait lui aussi son expérience… Le scénario décrivait de façon très réaliste les deux côtés de la relation, c’est ce qui m’a incitée à accepter. J’aimais aussi le fait que si le film raconte la fin d’un mariage, cela reste une histoire d’amour. J’ai appris quelque chose au fil des années, et à travers ce film, sur la réussite d’un couple : il faut faire preuve de beaucoup de compassion. Ou, comme dit Alan Alda, qui joue dans le film : «Le secret d’un long mariage, c’est une mémoire courte.» (Rires)
Un mot sur Adam Driver ?
S.J. Je crois qu’on fait un bon couple de cinéma. Adam m’a dit sur le plateau : «Il y a parfois une scène que j’appréhende dans un scénario ; ici, j’ai peur dans toutes les scènes.» Je l’ai vu aller au-delà de ses limites, arriver aux larmes en exprimant toute sa sensibilité. Voir un homme, surtout de sa stature, car il est très grand et très imposant, sangloter, ça vous chavire. Il devenait alors facile pour moi d’exprimer tout un tas d’émotions conservées au plus profond de moi, de les lâcher sans inhibition.
Black Widow, que nous découvrirons en mai prochain, est mis en scène par une femme, Cate Shortland… C’est à votre initiative ?
S.J. C’était important. Voir Sofia Coppola à l’œuvre dans Lost in Translation m’a fait voir très jeune que les femmes pouvaient faire n’importe quel boulot à Hollywood. J’avais adoré Lore, de Cate Shortland, je voulais travailler avec elle. La voir tenir l’équipe sur Black Widow m’a rappelé que les femmes doivent toujours se battre plus que les hommes pour se faire respecter. Mais les projecteurs sont enfin sur nous, et c’est nous seules qui avons fait avancer les mentalités. Et nous allons continuer !
Où en sont vos projets de réalisation ?
S.J. Je cherche le bon scénario ! J’aimerais mettre en scène un film dans la veine de Honey Boy d’Alma Ha’rel, ou The Rider, de Chloé Zhao. Des histoires avec des personnages singuliers qui n’ont pas peur de s’aventurer dans des zones émotionnelles complexes.
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