Enfant, Steven Passaro avait une folle ambition. «Je me souviens que j’ai toujours voulu changer le monde, raconte le jeune homme. Je voulais avoir le contrôle sur tout ce qui modifie notre existence et y remédier».
Installé depuis quelques semaines dans les Ateliers Paris Design, incubateur de jeunes talents créatifs de la Ville de Paris, le jeune créateur de 29 ans raconte comment il veut changer la manière de créer et de consommer les vêtements. «Ce sont les créateurs anglais comme Alexander McQueen ou John Galliano qui m’ont donné envie de devenir styliste, raconte celui qui, après avoir étudié la scénographie et l’architecture à l’école Duperré, à Paris, s’est envolé pour le London College of Fashion. J’aime Londres pour son énergie, sa culture de la mode, la liberté d’être qui ont est, sans jugement.» Habité, comme une bonne partie de sa génération, par le souci de préserver la planète, il découvre la modélisation en 3D du vêtement. Le logiciel sur lequel Steve Passaro se forme durant deux ans permet de sauter l’étape papier-toiles-protos : d’où un gain de temps, une réduction des matières premières et une grande réduction des déchets. «Le dessin à la main demeure, puis on modélise en 3D et la machine sort le patron-papier échelle 1. Il n’y a plus qu’a couper le tissu et à assembler, très peu de personnes en France savent utiliser ce logiciel».
Pour les tissus, il accède, à des prix compétitifs, aux plus belles matières – twill de soie, drap de laine, cachemire – grâce aux stocks de la plateforme en ligne de revente de matières d’exception, Nona Source, lancée par LVMH. «Les quantités étant petites (quelques rouleaux), cela implique des séries limitées, mais cela me convient parfaitement : l’avenir est aux petites séries».
Enfin, changer la manière de consommer la mode, c’est aussi imaginer des vêtements évolutifs : le créateur propose aux clients de choisir un vêtement unique, renouvelable à travers deux déclinaisons de design effectuées dans son atelier. «C’est la possibilité d’avoir trois façons de porter une même pièce et ainsi de prolonger sa durée de vie.» Le style Passaro, architectural, graphique et chic, est gender fluid. Une mode homme, mais qui joue avec les codes. «Je l’appelle “L’Homme sensible”, et les filles adorent aussi ! Je trouve ça beau que les gens s’approprient les vêtements comme ils le veulent. Je veux casser les idées reçues sur ce que sont un vêtement homme et un vêtement femme. La réponse, c’est : “Porte ce que tu veux !”»
Passaro est-il un créateur woke ? «Oui, il y a de cela pour ce qui concerne la connaissance de soi, pour me comprendre. Londres m’a permis de me transformer, c’est là-bas que j’ai commencé à me comprendre et à entreprendre un travail de déconstruction-reconstruction de moi-même. J’ai travaillé sur l’idée du soi en tant qu’ensemble de plis. Nous avons plein de facettes, plein de personnalités différentes qui forment un ensemble. Cela change constamment, et donc les plis ne sont jamais figés, toujours en train de s’ouvrir ou de se refermer. D’où la présence de beaucoup de plissés, de soufflets dans ma collection.» Sa collab avec le londonien Khanh Brice Nguyen, disponible fin octobre, tourne également autour de l’idée de guérison. «L’idée est d’aller en soi et d’aller mieux en mélangeant nos savoir-faire : le tailleur pour moi, la maille pour Khanh Brice Nguyen. Qu’est-ce que guérir ? Un processus qui ne finit jamais. D’où l’idée de points de suture et de vêtements évoquant les bandages, les plâtres… Mais, bien sûr, l’essentiel demeure pour moi qu’un vêtement soit d’abord portable, bien construit et de qualité.»
Disponible sur www.stevenpassaro.com, le créateur rêve d’une boutique-atelier. Sa prochaine présentation, lors de la Fashion Week homme de janvier 2022, le fera assurément entrer dans la cour des grands.
Philippe Latil
Photographies par Sébastien Giraud
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