Il incarne toute la magie, tout le pouvoir du cinéma. Pas étonnant que Steven Spielberg, après un demi-siècle d’une carrière légendaire, ait voulu raconter sur grand écran sa propre histoire. L’époque s’y prête. Plusieurs cinéastes, de James Gray à Sam Mendes, en passant par Alfonso Cuaron et Kenneth Branagh, viennent de se pencher sur leur enfance. La nostalgie, le besoin de transmettre ne s’arrêtent pas là. Après le remake de West Side Story, Steven s’attaquera à celui de Bullitt (Bradley Cooper dans le rôle de Steve McQueen). Mais il aura fallu une vie entière pour que cet éternel grand enfant de 76 ans revisite sa propre jeunesse. The Fabelmans, qui sort en salle le 22 février, raconte le premier choc de cinéma, la première caméra, le divorce de ses parents, les débuts à Hollywood… La tendresse est là, la gloire aussi, pour le créateur des Dents de la mer, Les Aventuriers de l’arche perdue, Jurassic Park et La Liste de Schindler. Lors du 73e Festival de Berlin (deuxième quinzaine de février), il recevra un Ours d’or. Un prix honorifique pour l’ensemble d’une œuvre comprenant, avec sa casquette de producteur, plus de 100 films et séries. Un quatrième Oscar ? (Il en a déjà deux pour la réalisation, un pour le meilleur film.) Réponse le 12 mars. Rencontre au cœur de l’usine à rêves, en tenue de gala (Steven Spielberg vient sur un nuage de recevoir le Golden Globe du meilleur film et celui du meilleur réalisateur), avec ce géant aussi humble que bienveillant, que la passion garde toujours aussi jeune.
Loin des productions spectaculaires qui ont fait votre marque, The Fabelmans raconte la passion pour le cinéma d’un jeune enfant d’Arizona, puis de Californie, dans les années 1950…
Steven Spielberg. C’est un film sur le pardon. Pardonner à mes parents, et, pour eux, se pardonner l’un à l’autre. Et je suis sûr que mes parents, au ciel (sa mère, ancienne concertiste de piano, qui ouvrit un restaurant à Los Angeles, s’est éteinte à 97 ans, son père, ingénieur, à 103 ans), se réjouissent des récompenses de ce film dans lequel j’ai voulu dialoguer avec mon passé, et partager cette conversation avec le monde entier, ce qui a demandé tout mon courage.
Pourquoi affronter votre histoire aujourd’hui ?
On en trouve des fragments dans nombre de mes films. E.T. et Rencontres du troisième type parlent directement de mon enfance. Il faut sauver le soldat Ryan est un hommage à mon père, vétéran de la Seconde Guerre mondiale. Mais il a fallu que Tony Kushner, le formidable auteur de théâtre couronné d’un prix Pulitzer, avec qui j’ai écrit Munich, Lincoln et West Side Story, puis ma femme, Kate (Capshaw, ndlr), me poussent. De plus, durant le Covid, j’ignorais si aucun de nous pourrait encore raconter une histoire au cinéma. Voilà, c’était le moment. Les gens ne voient que mon succès. Mais tout ce que j’ai accompli jusqu’à maintenant m’a préparé à dire qu’il n’est pas facile d’être un enfant. Personne ne sait vraiment qui nous sommes jusqu’à ce que nous soyons assez courageux pour le dire à tout le monde.
Michelle Williams et Paul Dano jouent vos parents, Seth Rogen votre faux oncle… Aviez-vous vos acteurs en tête dès le départ ?
Non. Car Tony et moi écrivons le scénario à partir de vraies personnes, de vrais souvenirs. Mais, dès lors que je me suis décidé à aller de l’avant avec le film, le casting est allé très très vite : Michelle, Paul, Seth, aucune hésitation. Trouver celui qui jouerait mon alter ego (Sammy) a été le plus difficile. J’étais plus objectif pour mes parents. C’est Cindy Tolan, ma brillante directrice de casting, à qui je dois aussi celui de West Side Story, qui a découvert Gabriel LaBelle, et il se débrouille bien mieux que moi quand j’étais jeune ! (Rires.)
Lors d’une rencontre organisée par la Guilde des réalisateurs entre vous et Martin Scorsese, retrouvailles de deux géants du «Nouvel Hollywood», vous lui expliquez comment vous avez eu l’idée de David Lynch pour camper John Ford…
Je connais juste un peu David Lynch, mais l’idée, soufflée par un producteur, était trop bonne pour la laisser passer. J’ai eu beaucoup de mal à le décider avant qu’il me dise : «Je vais le faire, à une condition : je veux avoir le costume deux semaines avant le tournage pour le roder.» Je lui ai demandé si cela signifiait qu’il allait porter l’habit de John Ford. Il m’a répondu : «Oui, tous les jours. Le bandeau sur l’œil, le chapeau, tout. Envoie-le-moi.» Et quand il est apparu sur le plateau de The Fabelmans, il était vraiment John Ford ! (Rires.)
Que voulez-vous transmettre aux jeunes réalisateurs ?
Je voudrais qu’à l’aide de l’application vidéo sur leur téléphone ils s’expriment sans attendre qu’on leur tende la main. Car, croyez-moi, c’est de plus en plus dur. Surtout au cinéma (son «Lincoln» avec Daniel Day Lewis avait bien failli être un film pour une chaîne du câble). L’idée est d’appeler ses amis, de faire un plan pour se retrouver de bonne heure le lendemain… que le jeune cinéaste à la tête du projet soit si excité qu’il ne puisse pas dormir cette nuit-là, et qu’il soit sur pied d’un bond le matin pour filmer avec les moyens du bord. Ça a marché pour moi avec une caméra 8 millimètres, ça marchera pour eux. Mais, pour réussir, vous devez être tellement passionné par l’histoire qui est en vous que vous ne serez plus capable ni de manger ni de dormir !
Propos recueillis par Juliette Michaud
Photographie principale par Rainer Hosch / Trunk Archive
«The Fabelmans», de Steven Spielberg, avec Michelle Williams, Paul Dano, Gabriel LaBelle, Seth Rogen, Judd Hirsch, Jeannie Berlin, Julia Butters, David Lynch. En salle depuis le 22 février.
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