«Une vie d’acteur est une vie de vagabond»
Pour Philadelphia et Forest Gump, il a reçu un Oscar deux années consécutivement, un exploit. Avec La Ligne verte et Il faut sauver le soldat Ryan, Seul au monde et Apollo 13… sa carrière, couronnée en début d’année par un Cecil B. De Mille Award aux Golden Globes, est colossale. Un ami extraordinaire, de Marielle Heller, qui sort le 25 mars, y trouve une jolie petite place décalée. C’est l’histoire vraie de la rencontre entre un journaliste blasé et le créateur et animateur d’une émission pour enfants pas comme les autres : Mister Rogers. Tom Hanks, calme et magnétique, capture à la perfection la bonté, l’écoute et la compassion. Rencontre avec un très grand acteur modeste.
En regardant Un ami extraordinaire, on ne peut s’empêcher de penser que vous étiez né pour jouer Mister Rogers.
Tom Hanks. Vous ne croyez pas si bien dire : une récente recherche de mes ancêtres m’a fait découvrir que je suis apparenté de loin à Mister Rogers. C’est un sixième cousin ! Vous voyez comme ma vie est un puzzle ! Mister Rogers est un animateur qui a été adoré des jeunes Américains pendant trois décennies. C’était un maître de sagesse qui parlait aux enfants comme à des adultes mais avec la voix de l’enfance, en abordant tous les sujets, même les plus difficiles. Ce qui enlevait un fardeau aux parents. Mais je ne suis pas aussi gentil que Mister Rogers. Même si je n’ai aucune malveillance en moi, et c’est peut-être pour cela que je refuse toujours les rôles de méchant. Mais il ne faut pas trop me chercher ! J’ai un tempérament, et je suis cabotin. Exprimer la «bonté gandhienne» de Mister Rogers était compliqué pour moi.
Connaissiez-vous les films de Marielle Heller ?
T.H. J’ai rencontré Marielle par hasard alors que je venais de lire un article dans le New York Times sur le manque de femmes réalisatrices à Hollywood. Cet article la mentionnait. J’ai tourné sous la direction de Penny Marshall pour Big, Nora Ephron pour Nuits blanches à Seattle, j’ai travaillé à la production avec Lily Zanuck, Lisa Cholodenko… J’ai donc l’habitude d’appeler des femmes «boss» sur le plateau. Mais, à la lecture de cet article, j’ai réalisé que je devais faire un effort pour tourner avec des femmes metteuses en scène. Elle m’a donné à voir son premier film, The Diary of a Teenage Girl, et je lui ai dit qu’on devrait travailler ensemble. Lorsqu’elle m’a envoyé le scénario d’Un ami extraordinaire, elle avait réalisé entre-temps Pourras-tu me pardonner un jour ?, avec Melissa McCarthy, que j’avais beaucoup aimé. Je ne pouvais plus rien lui refuser.
Comment êtes-vous devenu Mister Rogers ?
T.H. Le film a moins la prétention d’être un biopic que de montrer l’essence de Mister Rogers. Donc, une fois endossé son costume, son fameux cardigan rouge, qu’il voyait autrement, puisqu’il était daltonien… ce qu’il me fallait, c’était de calmer les chevaux sauvages qui galopent dans ma tête pour trouver cette lenteur merveilleuse, ce calme contagieux et salvateur propre à Mister Rogers. Des critiques ont dit que, dans le film, je suis juste moi-même… mais au ralenti. Qu’ils disent ce qu’ils veulent, j’ai 63 ans… Tout ce qu’ils diront se retournera contre eux et leur collera dessus comme du chewing-gum ! (Rires)
Quel regard portez-vous sur votre carrière, que l’on peut qualifier de «légendaire» ?
T.H. J’espère qu’un tel rôle, secondaire, puisque Matthew Rhys tient le rôle principal, rappelle que je suis avant tout un acteur de répertoire. J’ai joué beaucoup de types ordinaires, parce que je le suis moi-même. Mais j’ai aussi joué des gars vraiment très différents. Et à l’exception de mes deux chefs-d’œuvre, Turner and Hooch et Anges et démons, je n’ai pas fait trop de loupés. (Rires) Mon succès m’a permis de réaliser, de produire, d’écrire des romans, d’aider des personnes que je respecte, notamment des vétérans de guerre, ou de passer des vacances régénératrices chaque année dans le pays de mon épouse et d’y rencontrer des habitants qui m’ont enrichi sur le plan humain (son épouse, l’actrice Rita Wilson, est d’origine grecque et Tom Hanks s’est vu offrir la nationalité grecque à titre honorifique fin 2019). A mes débuts, j’ai eu la chance de rencontrer James Stewart, à qui on m’a souvent fait l’honneur de me comparer. On ne peut pas monter plus haut que ça.
En projet, il y a News of the World, où vous retrouvez le metteur en scène de Capitaine Phillips, Paul Greengrass.
T.H. Ce film est la raison de mon look du jour (il porte une abondante barbe grise lors de notre rencontre). Ils m’ont collé des poils partout et je dois les garder pour le rôle ! (Rires) C’est une belle histoire d’après le roman de Paulette Jiles, une sorte de road trip entre un Texan qui voyage de ville en ville en 1870 et une petite fille de 10 ans dont la famille a été tuée par une tribu indienne. Si tout va bien, je pars en Australie – et je pense fort à la tragédie des incendies – jouer pour Baz Luhrmann, le Colonel Parker, l’homme qui a découvert Elvis Presley. Et ce ne sera pas spécialement un rôle de «gentil».
Prêter votre voix à Woody dans les Toy Story, jouer l’idole des enfants… c’est aussi une façon de renouer avec votre propre enfance ?
T.H. On m’attribue ce truc d’homme-gamin depuis Big, ou même Forest Gump, et j’ai en effet pas mal de candeur en moi, et une joyeuse propension à tout transformer en jeu. Ceci dit, je ne veux pas rabâcher le fait que j’ai 63 ans, mais je me souviens à peine de mon enfance ! (Rires) Je viens d’une famille recomposée, très modeste, du nord de la Californie, je me souviens surtout de chaos, de déménagements, de remariages et des petits boulots précaires de mes parents. Un de mes frères et ma sœur – mon autre frère vivait chez ma mère – étions livrés à nous-mêmes. Mon père ne parlait pas, nous savions à peine qu’il fallait se brosser les dents. Quand j’ai eu des enfants – j’ai deux garçons et deux filles, tous super –, je me suis dit que j’avais à mon tour mille occasions de tout foirer et que j’allais tout faire pour éviter ça. Il ne faut jamais oublier que vos enfants ne vous ont pas choisi pour parents.
Comment est la vie d’un acteur de votre stature ?
T.H. Une vie d’acteur est une vie de vagabond, vous passez sans cesse d’un job et d’une famille de gens à l’autre, vous vous faites des amis, et puis tout se disperse. Mes vrais amis se comptent quasiment sur les doigts d’une main, Steven Spielberg et son épouse en font partie. Lorsque nous ne travaillons pas, nous cherchons toutes les occasions de nous regrouper autour de bons Martini frappés, et nous nous retrouvons toujours comme si c’était hier, comme c’est le cas dans les plus belles familles.
Propos recueillis par Juliette Michaud
Photographie Ryan Pfluger
«Un ami extraordinaire», de Marielle Heller, avec Tom Hanks. Sortie le 25 mars.
A lire aussi : Florian Zeller: «Je ne racontais pas ma propre histoire, mais mes propres peurs.»