«On doit faire vibrer le cœur des femmes avec nos sacs et celui des hommes avec des malles de dingos»
Il faut aller rue d’Avron, bien loin du centre de Paris, passer une lourde porte, traverser un jardin de bambous, pour découvrir la Factory Pinel & Pinel. Ici, des artisans passionnés réalisent le rêve des autres. Cette ancienne usine à jouets, transformée par Jean-Michel Wilmotte pour John Galliano, accueille sur trois étages de verre et de bois la conception et la fabrication de ces malles extraordinaires. Rencontre avec Frédéric Pinel, le créateur de ces objets de rêve 100 % made in Paris.
Tout est fabriqué et conçu ici ?
Oui, la création, la menuiserie, l’électronique, le son, la coupe… et même le matelassage. Nous sommes les seuls malletiers à fabriquer exclusivement à Paris. Nous réalisons des malles exceptionnelles, surdimensionnées, et des trucs un peu fous, comme cette moto qu’on va encadrer avec ses outils… Des trucs qui ne servent à rien, si ce n’est le réconfort de l’âme.
Créer de l’émotion, c’est votre moteur ?
Absolument. On doit faire vibrer le cœur des femmes avec nos sacs et celui des hommes avec des malles de dingos. Produire pour produire ne m’intéresse pas. Je veux avoir les yeux qui brillent le matin !
Vous avez eu plusieurs métiers. L’histoire du dernier débute dans un grenier ?
Oui, un truc de fou ! J’ai compris que c’était ce que je voulais faire en découvrant une vieille valise en cuir chez mes grands-parents. Je l’ai démontée, j’en ai refait une. Un artisan maroquinier, spécialiste de valises pour les agents secrets et meilleur ouvrier de France, m’a confirmé qu’elle était réussie, il m’a même demandé quelle école j’avais faite ! C’est ainsi qu’est né le concept de malle contemporaine, mixant cuirs sublimes et haute technologie. Pas la malle pour voyager, mais la malle déco, la malle à secrets… Le concept, c’est faire des objets auxquels on ne s’attend pas.
Vous avez une méthode pour les imaginer ?
Il faut que le client m’ouvre son cœur. Je vais faire un objet qui va rentrer dans sa vie, je dois savoir qui il est, connaître ses voyages, les artistes qu’il aime… C’est une histoire de rencontre et d’émotions. Puis, on fait des croquis, des propositions de couleurs, de cuirs, et des visuels 3D. Les clients me prêtent les objets qui vont aller dans la malle. Elton John m’avait donné sa montre, sa petite boîte à cigares, sa caméra et ses iPod…
Les gens expriment des désirs précis ?
Ils ont tous des rêves ! Parfois basiques : comme une malle pour ranger les escarpins… juste sublime ; une malle bar, pour passer du temps au bord de la piscine ; une malle dressing avec tracker et micro pour détecter les voleurs ou un coffre-fort. Parfois complexes : comme cette princesse qui rêvait d’un sac pour placer ses affaires impeccablement, on lui a fait 22 pochettes différentes… j’avais besoin de tout connaître, même la taille des bonnets de ses soutiens-gorge ; la malle orgue à parfums de Francis Kurkdjian ; ou encore celle pour Michael Jordan pour sa collection de 23 paires de Nike Air Jordan.
Quelle est votre malle la plus folle ?
La mienne, la malle bonzaï avec des tamarins dont les feuilles s’ouvrent le jour et se ferment la nuit. Vous utilisez une gamme de couleurs vives.
N’est-ce pas inattendu pour des malles ?
Oui, c’est rigolo de ne pas être comme tout le monde. Mon style est plutôt pop, j’aime Keith Haring et Andy Warhol. Quelle malle rêvez-vous de faire ? On a fait plein de films, mais pas James Bond. J’aimerais vraiment faire un truc de dingue, pour les agents secrets, avec des doubles ou triples fonds…
Avez-vous déjà eu des commandes de gens, disons… louches ?
Oui, une personne qui avait beaucoup d’argent à passer, plusieurs millions par semaine. Mais j’ai refusé. C’était de l’argent sale et je ne cautionne pas. Par contre, d’autres m’ont fait une demande assez extravagante : réaliser leur dernière malle, une malle cercueil. C’est touchant : la dernière chose avec laquelle ils veulent partir, c’est une malle Pinel !
Quels sont pour vous les codes du luxe à la française ?
Le savoir-faire. Il faut se battre pour le préserver. C’est une belle culture du beau et du vrai, dans le raffinement, le détail et l’excellence. On est là pour transmettre ce travail manuel. Les maroquiniers, les créateurs, les chefs vendent du rêve. Autrefois considérés comme des cancres, maintenant ce sont des stars.
C’est satisfaisant, de transmettre ?
C’est tellement important. Je commence à avoir les premières personnes qui partent à la retraite, ils ont une technique qu’il faut absolument conserver. Par exemple, retourner les sacs et spécialement les sacs en croco, c’est comme un geste de magicien, en deux secondes on le retourne et il devient lumière.
Votre dernier projet ?
On travaille sur des trolleys. Le problème principal d’une valise, c’est de trouver où la ranger lorsque vous rentrez chez vous. On veut créer un bel objet avec une double fonction, que l’on puisse laisser dans son salon parce qu’il se transforme en valet…
Et pour finir, qui est le second Pinel sur la photo ?
Fred le jour et Fred la nuit. J’aime faire la fête. Le matin, j’endosse mon costume, avec plus de responsabilités.
Propos recueillis par Anne Delalandre
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