Elle vient du théâtre anglais, possède à la fois la blondeur des stars glamour et une modernité affirmée. On a pu la voir dans Mission: Impossible – Fallout et en jeune princesse Margaret dans The Crown. Mais c’est dans Pieces of a Woman, du cinéaste hongrois Kornél Mundruczó, coproduit par Martin Scorsese, diffusé sur Netflix, et pour lequel elle a obtenu le prix de la meilleure interprétation féminine à Venise, que l’envoûtante Vanessa Kirby crève enfin l’écran. Pour cette histoire tragique de la perte d’un bébé, elle délivre une performance étonnante. Depuis, les projets s’enchaînent. A 32 ans, en route vers l’Oscar, Vanessa Kirby passe dans la cour des grandes.
Pieces of a Woman est l’histoire vraie du metteur en scène du film, Kornél Mundruczó, et de son épouse Kata Wéber, auteure du scénario, qui ont tragiquement perdu leur bébé quelques minutes après sa naissance. Comment accepte-t-on un tel projet ?
Vanessa Kirby. J’étais terrorisée. A l’idée de rejouer le traumatisme de Kata Wéber, qui a écrit un scénario si courageux, si fort, et à celle de décevoir les femmes, car, moi, je n’ai jamais donné la vie… La longue scène d’accouchement à la maison au début du film, anthologique car elle est filmée en un seul plan-séquence, m’a rendue très nerveuse. J’avais le devoir, pour chaque mère, de représenter à l’écran cette naissance de la façon la plus authentique possible. Je savais que je devais donner une performance crue, fidèle à la vie.
Comment avez-vous fait ?
Des sages-femmes et des gynécologues ont accepté de m’emmener en consultation dans un hôpital de Londres, et une femme incroyable m’a laissée assister à son accouchement. J’ai aussi parlé avec de nombreuses femmes qui ont vécu un drame similaire. Je n’aurais pas pu jouer le rôle, autrement. Et, sur le tournage, nous avions une «doula», une experte consultante pour les femmes enceintes.
C’est tout l’amour que les quelques minutes sur terre de ce bébé apporte qui est au cœur du film…
C’est la beauté du film. Toute la famille, la mère jouée par Ellen Burstyn, le père de l’enfant joué par Shia LaBeouf, a besoin de justice, la sage-femme est accusée de négligence… mais Martha, mon personnage, est dans un processus d’apaisement et d’amour. Il ne s’agit pas de savoir qui est à blâmer pour les choses douloureuses qui peuvent faire voler votre vie en éclats. Il s’agit de ramasser les morceaux pour se reconstruire différemment, se rappeler quelle vie on imaginait pour soi, porté par la lumière de l’être disparu. Et cela prend du temps. Kata Wéber a écrit ce film parce qu’elle n’arrivait pas oralement à briser le silence.
Le travail entre acteurs a dû être très intense…
Nous avons créé un lien très fort dans un environnement ultra-professionnel et avec des répétitions sérieuses. Je ne connaissais pas Shia, et, bien sûr, j’admirais Ellen Burstyn, notamment pour son travail avec notre «parrain» du film, Martin Scorsese, dans Alice ne vit plus ici. Ellen m’a prise sous son aile. Avec elle, jouer est comme un rite tribal, avec une communauté au service d’une histoire à raconter.
Il vous a fallu dix ans pour percer au cinéma. On va vous revoir dans le très touchant The World to Come, de la réalisatrice norvégienne Mona Fastvold, avec Casey Affleck et Katherine Waterstone, l’adaptation d’une nouvelle de Jim Shepard qui raconte une passion amoureuse entre deux femmes dans l’Amérique rurale du XIX siècle. Vous sentez-vous prête à votre nouvelle célébrité ?
Je viens d’une famille aisée, père chirurgien, mère éditrice dans la presse, où, pour prouver que je n’étais pas une gosse de riches, je devais absolument me démarquer. A l’école, je me faisais harceler et je me recroquevillais sur moi-même. C’est seulement quand j’ai étudié le théâtre que j’ai pu m’exprimer. Mais même l’école d’art dramatique n’était pas pour moi. Je voulais être sur le terrain, sur les planches, et j’ai appris notamment en regardant des pointures comme Vanessa Redgrave ou Anthony Hopkins. Il m’a fallu tout ce temps, et aussi l’occasion. J’ai tourné Pieces of a Woman et The World to Come coup sur coup, deux films réalisés par deux metteurs en scène très amis à la ville, deux brûlots qui montrent à quel point les mentalités ont changé. Il y a encore cinq ans, de tels films sur des histoires de femmes n’auraient pas été financés. Faire partie de ce mouvement, de cette ère qui brise les tabous, me porte. Sur le tournage de Pieces of a Woman, je me rappelle m’être dit: «Cette fois, je suis prête.»
Vous avez depuis repris votre rôle dans le septième volet de Mission: Impossible. On parle aussi d’un film avec Marion Cotillard, The Brutalist…
Sur Mission: Impossible, les cascades sont de plus en plus risquées, certaines terrifiantes, mais j’aime me lancer des défis, et c’est un tel plaisir pour toute l’équipe de pouvoir retourner travailler, tout en prenant toutes les précautions requises en pleine pandémie. Pour The Brutalist, c’est un peu tôt pour en parler. C’est un projet de Brady Corbet, qui est aussi acteur et a travaillé comme producteur sur The World to Come.
Votre actrice modèle ?
Gena Rowlands est mon modèle absolu.
Propos recueillis par Juliette Michaud
Photographies par Rankin / Trunk Archive/ PhotoSenso
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