En danois, son prénom signifie «guerrier». Mais alors, un guerrier très doux. Viggo, on l’aime. On l’aime parce que, depuis ses débuts dans Witness, de Peter Weir, et The Indian Runner, de Sean Penn, avec son jeu précis, sa sensibilité et sa beauté limpide, il illumine l’écran. On l’aime parce qu’il sera toujours Aragorn. Et qu’il a su garder sa magie. On l’aime parce que, tout marginal qu’il est, il relève les défis hollywoodiens. Comme jouer dans Treize vies, de Ron Howard, avec Colin Farrell, l’histoire vraie d’une opération de sauvetage de douze enfants et de leur entraîneur piégés dans une grotte en Thaïlande (à voir depuis le 5 août sur Amazon Prime Video). On l’aime pour toutes ses facettes (et sa fossette !) : poète, éditeur, musicien, photographe, scénariste, réalisateur, producteur, humaniste engagé… On l’aime parce qu’il nous a donné autrefois une interview en ouvrant une bouteille de bordeaux, pieds nus, et qu’il entame cette rencontre dans un français parfait. Quant à la série Les Anneaux du pouvoir, tirée du Seigneur des anneaux – l’un des événements de la rentrée ! –, il nous demande, très sérieusement, de quoi il s’agit… Viggo, on l’adore !
On a découvert votre premier long-métrage de réalisateur, Falling, il y a deux ans. Cette année, vous revenez avec Crimes du futur et Thirteen Lives, de Ron Howard. Comment voyez-vous votre parcours au cinéma ?
Viggo Mortensen. J’ai la chance de pouvoir vivre de mon art, et, lorsque je m’engage sur un projet, c’est toujours une décision réfléchie, car je sais qu’il faut un an et demi ou deux ans de travail intense par film. Cela représente une partie importante de votre vie. Le public a la conviction que, lorsqu’un acteur a un film à succès, il peut faire ce qu’il veut : mais nous avons moins de pouvoir que les gens le pensent. J’ai eu de la chance. J’ai fait les choses que j’ai choisi. Certaines ont bien fonctionné, alors je continue…
Avec David Cronenberg, c’est différent ?
Oui, car on est avant tout amis. Je sais que les rôles et les situations à tourner peuvent être difficiles avec lui, mais il fait entièrement confiance à ses acteurs, il nous désarme avec ses blagues et son empathie sur le plateau…J’ignore si nous ferons un cinquième film ensemble, mais, s’il me le propose, je doute de refuser…
Vous êtes aussi avant-gardiste que lui?
Pas autant, mais dans la même mouvance artistique. L’histoire de Crimes du futur déstabilise, mais est très belle. Mon personnage y vit une histoire d’amour différente : le couple a remplacé le sexe par des performances artistiques futuristes. Ma partenaire, jouée par Léa Seydoux, tatoue à l’intérieur de son corps les organes qu’il fabrique… J’ignore ce que cela dit sur la société à venir, si ce n’est que David avait écrit le film il y a longtemps. Or, vu ce que nous traversons, le changement climatique, les microparticules de plastique en nous… beaucoup de choses liées à notre corps vont changer dans le futur.
Vous devez jongler entre cinéma commercial et cinéma d’auteur ?
J’ai été à bonne école en travaillant avec de grands auteurs, comme Sean Penn, Jane Campion, Brian De Palma, Ridley Scott, Peter Farrelly. Greenbook, par exemple, a provoqué autant de débats que Crimes du futur. Des films indépendants comme A Walk on the Moon et Captain fantastic ont eu beaucoup de succès critique et commercial. J’ai dit oui à Ron Howard, mais j’ai tourné en parallèle Eureka, un thriller argentin avec Chiara Mastroianni, et Two Wolves, un film antimilitariste sur la guerre du Vietnam avec Caleb Landry Jones (les sorties de ces deux films ne sont pas encore fixées). L’équilibre se fait de lui-même.
Regarderez-vous la série inspirée de la trilogie du Seigneur des anneaux ?
Oui, pourquoi pas ? Mais de quoi ça parle ? Un journaliste m’a appris que cette série est basée sur un prologue au Seigneur des anneaux de six pages. Six pages et 1 milliard de dollars (rires). C’est l’industrie. D’accord. Et il y a une logique. C’est là, en amont, que Peter Jackson a dessiné la relation entre Arwen et Aragorn dans la trilogie. Tout est lié. Savez-vous par exemple que c’est grâce au Seigneur des anneaux que j’ai rencontré David Cronenberg ?
A quelle occasion ?
Une fête à Cannes, après la présentation des vingt premières minutes de La Communauté de l’anneau, dans un château au sommet d’une colline… Il était très tard et je prenais du bon temps. Howard Shore, le compositeur de prédilection de David, et bien sûr celui du Seigneur des anneaux, l’avait invité à la fête. Une première rencontre brève, mais la connivence a été tout de suite là. Nous nous sommes revus à Los Angeles, pour parler de l’Histoire de la violence.
Comment vous souvenez-vous aujourd’hui de l’incroyable expérience du Seigneur des anneaux ?
Je ne voulais d’abord pas jouer dans la trilogie. C’est mon fils Henry, fan de Tolkien, qui m’avait convaincu. La Nouvelle-Zélande est magnifique, je suis resté là-bas des mois, et les gens sur place, l’équipe, Liv Tyler, Peter Jackson, Orlando, poursuivi par des hordes d’admiratrices, et des centaines et centaines de personnes : nous sommes tous devenus très très proches. L’âme des lieux et l’esprit de Peter étaient magiques. La trilogie m’a ouvert beaucoup de portes, et je ne me suis jamais senti enfermé dans l’image d’Aragorn. Je n’ai jamais regretté d’avoir dit oui. Et mon voyage continue…
Propos recueillis par Juliette Michaud
Photographie principale par Kurt Iswarienko
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