Peut-on être encombré d’apparat? Débordé de dorures, emmêlé de rubans, étouffé de dentelles, dévoré de velours? Peut-on se noyer dans ses habits, se perdre dans sa pourpre, disparaître par trop d’éclat, être effacé par l’excès de pompe, riche, fier mais enseveli, magnifique mais masqué?
Devenu invisible parce que trop voyant… Juste vengeance sociale, punition de ceux qui ont trop reçu, qui veulent trop montrer, trop puissants pour ne pas mériter une sanction, en tout cas un ridicule ? L’artiste Volker Hermes, dans sa série Hidden Portraits, manipule les images de la noblesse qui jadis se faisait tirer de nobles portraits. Fashion victims avant l’heure. Il cache les visages de ces puissants qui ont posé des heures pour montrer à tous leur rang, leur argent, leur or, leur pouvoir. Des rubans envahissants, des cols trop épais, des perruques trop frisées, des plis et des masques… comme si le lierre de leur arbre généalogique envahissait jusqu’à leurs visages.
Quand on lui pose la question, Volker Hermes répond qu’il n’y a dans son œuvre «rien de si négatif». Que son travail «est davantage une exploration réfléchie des portraits peints du passé, de leur contexte et de la façon dont nous les percevons aujourd’hui dans un paysage social complètement différent. A notre époque, les portraits reflètent l’individualité; ils sont créés par tout le monde, tous les jours, dans d’innombrables variations. Historiquement, cependant, les portraits étaient des luxes rares, commandés par l’élite pour afficher le statut et la richesse. Ils sont bien plus que de simples représentations d’individus. En interprétant ces œuvres, je pense qu’il est essentiel de prendre en compte l’importance des détails en plus de la personne, l’opulence des vêtements, les tissus riches et les intérieurs somptueux qu’elles représentent souvent. Et toutes les métaphores qui vont avec. En tant qu’artiste contemporain à l’esprit critique, je tiens également à souligner le fait que beaucoup de ces portraits ont été créés dans des sociétés autocratiques, où les femmes avaient des droits limités et où les notions de masculinité correspondent souvent à ce que nous pourrions aujourd’hui appeler « toxiques ». Mon approche utilise l’ironie, l’humour et l’exagération comme outils, non pas pour faire la morale ou provoquer, mais pour ouvrir de nouvelles perspectives sur l’art historique.»
Quand on lui pose la question: « Cacher les visages est-il une façon d’intriguer le visiteur et de l’obliger à regarder l’œuvre différemment?», il répond: «Oui, mes modifications nous poussent, nous les spectateurs, à changer notre façon habituelle de regarder les portraits historiques. Nous sommes tellement obsédés par l’individu que nous négligeons tant d’autres choses représentées. En voilant cette individualité, je crée une irritation qui nous aide à ressentir toute la gamme des éléments du tableau. En déchiffrant l’art ancien, nous comprenons mieux comment les gens continuent de poser, de transmettre leur statut et d’exprimer leur identité dans notre monde contemporain.»
Séraphin Bonnot
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